Comment aborder la virulence verbale, les accusations (quand elles sont mensongères) ou les injures (apparemment gratuites) qui nous visent personnellement ? Elles jaillissent par salves sur la toile (voir P.S.), le plus souvent sous pseudo, parfois à visage nu. Twitter semble les encourager à la façon dont l’automobile s’est muée en caisse de résonance de la violence verbale de certains conducteurs. L’écrit permet au moins de se poser avant de réagir. Mais que faire de ces traits empoisonnés ? Ces derniers temps m’ont obligé à me poser quelques fois la question…
Recevoir « sereinement » l’insulte ne va pas de soi… Ce n’est ni naturel, ni forcément juste. Or, l’enjeu est de réagir en toute justice.
Ce que l’insulte révèle de moi
Première étape : accueillir pour soi l’insulte injuste. Ce qu’elle provoque en moi dit quelque chose de ces émotions qui habitent mes profondeurs.
Je vois deux écueils à éviter.
– Le premier serait de recevoir la flèche en plein nombril… Si je me sens piqué au vif, la riposte égotique n’est pas loin : de la justification à la vengeance, au prix, trop souvent, de l’escalade. Et me voilà acteur d’un de ces cycles de violence – ici verbale – ou c’est vite œil pour dent, puis tête pour œil… Mortel !
– Le second écueil serait d’ignorer l’agresseur… Est-ce si juste ? N’est-ce pas le traiter par le mépris ? Or, son éminente dignité – inaliénable – m’invite à recevoir ses flèches comme venant d’un frère… En plein cœur, au risque d’en être blessé ? Pourquoi pas, à condition de me laisser traverser par elles, de ne pas les retenir. Car c’est l’humanité qu’elles visent à travers moi. Je ne suis qu’un bouc-émissaire occasionnel. Une tendance égotique (encore elle !) pourrait me faire collectionner les flèches et les cicatrices comme des trophées, m’en faire ainsi complice, par dolorisme. Gare au sadomasochisme en quelque sorte !
Confronté à l’insulte ou à l’accusation qu’elle sous-tend, il n’est pas inutile de s’interroger sur sa propre responsabilité… Même si je n’ai pas mérité l’injure, je l’ai peut-être provoquée, par une indélicatesse, une erreur, sans écarter l’hypothèse d’une faute. Il est si facile d’engloutir toute ma responsabilité dans l’outrance de l’agresseur ! Et si l’écorce piquante de l’insulte cachait un fruit, une petite leçon, comme un cadeau à digérer, pour mieux se connaître et s’ajuster ?
Cependant, un réflexe inverse nous menace tout autant : « Quand tu es accusé, ne convoque pas ton tribunal intérieur », conseille magnifiquement Etienne Séguier. Déni brutal, riposte disproportionnée ou déstabilisation intérieure, peuvent cacher une victoire indue de cet Accusateur qui rôde autour de nous, prêt à exploiter nos failles psychiques. Pour nous étouffer et nous priver de notre liberté de penser et d’agir. Qui n’est jamais menacé par un sentiment de culpabilité délétère, monstre qui somnole dans le for intérieur, et qu’une accusation sait si bien réveiller de son hibernation ? « Dénigrez, dénigrez, il en restera toujours quelque chose… dans l’esprit de celui-là même contre lequel vous vous acharnez», semble pressentir celui qui insulte… Il faut garder à l’esprit que l’objectif ultime de la dialectique marxisante est d’obtenir de sa victime une « conscience malheureuse », celle qui le réduira au silence. Attention donc à ne pas nous laisser piéger par l’auto-condamnation.
Ce que l’insulte révèle de l’autre
Une fois tout ce ménage intérieur effectué avec précision, nous voilà capables d’accueillir l’insulte avec une once de recul, « pour l’autre », en faveur de celui-là même qui la profère. Car les flèches qu’il décoche disent de lui quelque chose de vivant, bien plus que de moi qui ne suis qu’une cible. Quelque chose à recevoir, pour tenter de comprendre et décrypter… N’oublions pas que les peurs, les colères et les jalousies parlent au moins autant du sujet qui les éprouve que de leur objet. Il est même fréquent que ce dernier soit un innocent exutoire. Mais de quoi peut bien parler l’injure concernant celui qui la profère ? De son parcours, de ses croyances et de ses préjugés, de ses peines et de ses deuils, de sa violence intérieure, de la fracture qui traverse son humanité… Tout ce qui le conduit à douter de la mienne. Dans cette affaire, l’insulteur se révèle plus blessé que l’insulté. Davantage en danger. Oserai-je ajouter « le plus à plaindre », ceci dit sans suffisance ?
Allons jusqu’au bout : et si les injures disaient même sur celui que les profère quelque chose de beau ? Son esprit de justice, son désir d’absolu, son besoin d’amour si maladroitement exprimé en expression de haine… Quoi qu’il en soit ses mots sont plus autodestructeurs que dangereux pour celui qu’ils visent. Au point qu’on s’abstiendra d’ailleurs de les reformuler de façon trop brutale. Ce serait comme re-balancer une grenade avant explosion. On préférera désamorcer le conflit en tentant de « retourner » l’insulte, mais comme un gant, afin de donner à l’autre la chance de nous montrer sa face de bienveillance.
Il nous faut donc décider :
Soit se taire. Non pour se terrer, mais par respect de l’autre. Pour ne pas enflammer davantage sa colère. Par pudeur aussi, comme on voile la nudité d’un proche soudain désinhibé.
Soit parler. Du moins répondre, sans rétorquer, reformuler l’émotion sous-jacente, rétablir une part de vérité, éveiller la conscience, ouvrir peut-être un chemin de pacification (joli pied-de-nez à l’insulte originelle qui aura eu le mérite de nous mettre en relation).
Et puis, quoi qu’il arrive, lâcher-prise. Ne pas forcer la porte. Accepter de ne pas avoir le dernier mot. L’autre est libre. Y compris de ne pas supporter la paix.
P.S. : Ce qui m’a fait écrire ce billet vient d’une série de salves récentes sur Twitter, dues à la réactivation par mes amis de l’ADMD d’un article un peu ancien contre moi. Il vient d’une personne endeuillée qui a considéré un chapitre de mon livre La Bataille de l’euthanasie si indigne qu’elle a souhaité le démonter sous la forme de ce qu’elle nomme un « droit de réponse », avec des bribes de citations de ce livre. Intelligemment ajustée, sa note conduit à brosser de moi un portrait noir : mes intentions y sont interprétées d’une façon qui porte à l’effroi et au dégout. Je récuse au nom de la vérité ces interprétations erronées voire mensongères.
Cette note publique m’avait déjà valu des accusations en direct, au cours de débats médiatiques, par des personnalités qui avaient lu l’accusation, mais pas mon livre. Jusqu’ici je n’avais répondu à l’auteur de cette note que personnellement, et de façon aussi douce et ajustée que possible, conscient de ses souffrances réelles que mon livre avait malheureusement pu réactiver.
Oserais-je demander à ceux de mes chers accusateurs qui sont sincèrement épris de justice et de vérité de lire mon livre avant de prononcer leur sentence ?