Tugdual Derville commente la multiplicité des sujets « sociétaux » qui marquent l’actualité de ce début d’automne.
Propos recueillis par Frédéric Aimard
Comment analysez-vous le foisonnement des sujets liés à la dignité humaine ?
Le gouvernement s’empêtre dans quelques contradictions… D’un côté, les observateurs reconnaissent qu’il a intérêt à faire une « pause sociétale » pour se concentrer sur les sujets économiques et sociaux que les Français jugent prioritaires ; de l’autre nous avons mille petits signes que « l’offensive sociétale » se poursuit… Parfois cela semble insignifiant comme la mise en vente des tests de grossesse dans les supermarchés… Parfois, c’est beaucoup plus grave… Est-ce la compulsion idéologique qui semble plus forte chez certaines personnalités de la majorité que l’instinct de retenue ? A moins que nous n’ayons affaire, avec quelques paroles rassurantes et des actes plus inquiétants, à une sorte de double-jeu.
Pensez-vous qu’il y aura une nouvelle grande manifestation ?
Il ne faut pas exclure cette hypothèse, et nous devons nous maintenir en alerte. Le président Hollande ne veut surtout pas provoquer un mouvement social de l’ampleur de celui qui l’a tant surpris l’an dernier. C’est à mon avis la raison pour laquelle l’accès à la procréation artificielle pour deux personnes de même sexe n’est pas prévu dans le projet de loi famille annoncé pour début 2014. Quand un gouvernement ne parvient pas à passer en force, il table sur la lassitude et joue avec le temps. Attend-il aujourd’hui que les veilleurs et autres Sentinelles se rendorment et rentrent chacun chez soi ? Un proche du Président m’a lancé, sous forme d’un constat, ce qui traduit le souhait de l’exécutif : « Les manifs, c’est fini ! » Et Madame Taubira a fait part de son exaspération, apostrophant les Sentinelles en leur demandant si elles comptaient veiller ainsi éternellement à la porte de son ministère… Attention toutefois : un amendement parlementaire est vite passé. Et le gouvernement peut avoir la tentation de nous prendre de vitesse.
L’essoufflement du mouvement n’est-il pas inéluctable ?
Je crois à un enracinement qui rendra notre fécondité durable. Notre mouvement est animé par une valeur que les observateurs n’ont pas vue : le désembourgeoisement. Nous sortons de notre confort personnel et nous avons trouvé la joie de servir. C’est le sens du réveil de beaucoup de personnes mûres comme de l’engagement d’une nouvelle génération. Au-delà de leurs familles, de leurs carrières et de leurs loisirs, tous ont pris à cœur le bien commun de l’humanité. En marchant pour la famille et pour l’enfant, des centaines de milliers de personnes se sont forgées un caractère de résistant ; ils sont « tombés amoureux » de la dignité humaine. Quel étouffoir pourrait éteindre pareil feu ? Le gouvernement ne cesse de l’alimenter en y jetant son huile idéologique…
Que penser de ce congé paternel promu par Najat Vallaud-Belkacem ?
Que les pères se responsabilisent est essentiel. Mais l’injonction qui leur est faite de prendre six mois de congé paternel, avec des sanctions pour les récalcitrants menaçant le congé de leur compagne, a quelque chose d’infantilisant. Et par ailleurs d’absurde si on le situe dans le contexte idéologique qui tend à présenter la maternité comme ennemie numéro un des femmes. Comme si ces politiques avaient une quelconque crédibilité pour éduquer les parents, alors qu’ils font tout pour leur enlever leur responsabilité éducative ! En réalité, la convergence entre l’idéologie du genre, portée par le lobby LGBT, et celle du féminisme radical nous sert un fatras de prescriptions moralisatrices que notre société ne peut avaler.
Croyez-vous en l’esprit de résistance des parents ?
Partout où je suis allé cet été, j’ai rencontré des personnes que notre mouvement social a convaincues de ne plus se terrer. Les initiatives foisonnent pour défendre le droit des parents d’éduquer leurs enfants, que ce soit au sein de la Manif pour tous, dans les mouvements comme VITA ou les AFC, dans les associations de parents d’élèves. Monsieur Peillon a beau vouloir rassurer, il a trop fait comprendre que sa « morale laïque » était comme une nouvelle religion « libératrice » de la tutelle des familles et des religions… Pas étonnant que la résistance s’organise.
Croyez-vous qu’une vaste mobilisation soit possible sur le sujet de l’euthanasie ?
Nous y sommes prêts. Même si ce sujet nécessite beaucoup d’explications. Car la définition même de l’euthanasie est mal connue, et contournée. Nous suivons de très près l’affaire Vincent Lambert qui est, sur fond d’épreuves et de tensions familiales, un de ces cas limites typiques par lesquels le lobby de l’euthanasie tente de s’engouffrer… Pour certains, qui invoquent une interprétation de la loi Leonetti, engager pour un patient en état pauci-relationnel (c’est-à-dire incapable de s’exprimer par lui-même) un « protocole de fin de vie » par arrêt de son alimentation ne relève pas de l’euthanasie. Nous sommes quant à nous très perplexes, contestant le fait de provoquer délibérément, par arrêt de soins (qui n’ont rien de disproportionnés), la mort d’un patient, ce dernier n’étant — par ailleurs — aucunement en fin de vie. Mais, au-delà de ces situations si délicates, ce que veulent les partisans de l’euthanasie, ne l’oublions pas, c’est un droit au suicide assisté et à l’injection létale pour tous.
Le sujet de l’avortement a aussi occupé le devant de la scène ces derniers jours…
Oui. Que le sujet du respect de la vie soit présent dans le débat est normal, car c’est une question qui touche au corps et à l’âme, et qui nous taraude tous. L’énergie mise pour étouffer ce thème, en faisant passer l’avortement pour un droit menacé, relève du déni. Je ne sais pas ce que veut exactement le gouvernement en renforçant le délit d’entrave à l’IVG ou en menaçant certains sites Internet. Je ne sais pas non plus si notre service d’aide SOS Bébé est directement visé. Nous rassurons et consolons des milliers d’internautes, alors que les pouvoirs publics n’informent plus les femmes enceintes se posant la question de l’avortement sur les aides auxquelles elles ont droit. Résumer, comme ils le font, la prévention de l’IVG en « prévention des grossesses non désirées » est tellement réducteur… Comme si les femmes enceintes en difficulté n’avaient que l’avortement comme solution ! Je crois sur ce sujet à un féminisme qui ne se coupe pas de l’homme. Quand les femmes témoigneront librement à propos de l’IVG, le regard de la société changera.
Que pensez-vous des nominations au Comité d’éthique ?
Nous nous attendions à l’arrivée de quelques personnalités ayant manifesté leur soutien au lobby LGBT. C’est confirmé. Il y a de toutes les façons quelque chose d’ambigu dans la relation entre le politique et le Comité d’éthique. Ses membres sont nommés par des instances de pouvoir qui leur délèguent l’éthique. Mais cette dernière peut-elle évoluer au gré d’une discussion entre savants ? Ce qui est finalement le plus choquant dans le système qui aboutit au Comité consultatif national d’éthique, c’est ce quasi-abandon de souveraineté que consent le politique, alors que les grandes questions bioéthiques sont désormais au cœur d’un choix de société. Que François Hollande ait affirmé qu’il suivrait l’avis d’un comité par essence consultatif n’est donc pas satisfaisant. Mais ce qui apparaît le plus contestable dans les nominations, ce sont celles de chercheurs ou de praticiens des domaines concernés. Ils sont évidemment juges et parties, pris dans des conflits d’intérêts qui ne garantissent pas leur indépendance pour définir l’éthique.
Que faudrait-il faire ?
Chercher la vérité sur l’homme, en toute indépendance. « La question sociale est radicalement devenue une question anthropologique » souligne Benoît XVI dans son encyclique La charité dans la vérité. J’ai souvent expliqué qu’il est rejoint sur ce point par Jacques Attali qui parle à son tour de « permettre à l’humanité de définir et protéger le sanctuaire de son identité ». Au fond, la question « Qu’est-ce que l’homme (ou l’être humain) ? » n’a jamais été aussi prégnante depuis que la complémentarité homme/femme est remise en cause. À nous tous de nous saisir de cette question.