Comment analysez-vous ce remaniement ministériel au regard des enjeux « sociétaux » ?
Tugdual Derville : La situation est incertaine. En termes d’affichage, le virage libéral qui fracture la gauche est compensé par des gages libertaires censés maintenir un semblant de cohésion dans la majorité. D’un côté un bras de fer viril entre deux hommes (Valls et Montebourg) laisse un vainqueur et des vaincus, bannis. Et de l’autre ce sont des femmes emblématiques qui grimpent ou s’accrochent. S’il ne m’appartient pas de juger de la pertinence du « redressement libéral » tenté aujourd’hui, j’espère surtout qu’une gauche aux abois ne sera pas tentée par la fuite en avant transgressive pour faire oublier son échec en matière d’emploi.
Que pensez-vous de la promotion de Najat Vallaud-Belkacem à l’Éducation nationale ?
Le Président, tout occupé à gérer dans l’urgence la crise interne à son camp, n’a pas eu le temps de prendre en compte l’effet d’une telle nomination sur notre mouvement social qu’il persiste à ignorer et sous-évaluer. Si cette nomination est ressentie par beaucoup comme une provocation, c’est parce que Najat Vallaud-Belkacem a elle-même, dès 2012, provoqué notre mouvement, en se rendant devant les caméras dans des écoles primaires ou des collèges pour vanter les réformes sociétales socialistes, allant jusqu’à suggérer aux enfants de changer la mentalité de leurs parents. Sur l’objet même de nos manifestations du dimanche 5 octobre prochain, je n’oublie pas qu’elle fut tenante, au PS, de l’option de soutien à la GPA, qui reste heureusement minoritaire… Tout cela a de quoi doper notre mobilisation.
Ne craignez-vous pas de servir de faire-valoir, en vous opposant à sa nomination ?
Ou de bouc-émissaire. C’est en effet un risque, car si madame Vallaud-Belkacem se permet de nous négliger, pour le moment, c’est parce qu’elle est devenue une icône médiatique. C’est un statut précaire. D’autres femmes avant elle l’ont expérimenté quand elles étaient bien en cour. Attendons cependant : Laurence Rossignol, arrivée avec le premier gouvernement Valls, nous avait donné de timides signes de considération contrastant avec ce que nous connaissions de son idéologie. Mais c’est sur la question de l’école qu’une bonne partie de notre attention s’est aujourd’hui portée, avec le vrai-faux retrait de l’ABCD de l’égalité… D’où notre souhait de rencontrer celle qui est en charge de l’éducation.
N’est-ce pas difficile de faire valoir le respect de l’enfant devant des ministres femmes ?
Que le sujet même de l’intérêt de l’enfant soit occulté par une femme, c’est surtout désolant. C’est la rançon du féminisme du genre pour lequel toute idée de maternité est supecte. Je trouve d’ailleurs étrange la parité dont on se targue au sommet de l’État quand elle conduit à se féliciter du genre féminin d’une personnalité tout en niant qu’il puisse dénoter des qualités spécifiques. Toute idée de génie féminin est tabou. On promeut une femme victime en quête de réparation et d’indifférenciation. C’est pauvre.
Que dire du maintien de Christiane Taubira à la Justice ?
J’aimerais bien en connaître les ressorts… Il me semble aujourd’hui que Christiane Taubira pose un problème insoluble à son propre camp. De notre côté : le mal est fait depuis 2013. Mais comment une personnalité aussi controversée dans son propre entourage peut-elle se maintenir ? Et surtout comment ose-t-elle trahir son serment de loyauté à la ligne du Premier ministre en s’affichant aux côtés des « frondeurs » de La Rochelle dès le 30 août ? Braver avec une pareille insolence ceux qui viennent de la confirmer, c’est affaiblir, presque annuler en un instant l’effet du remaniement qui promettait une cohésion gouvernementale.
Pourtant, Manuel Valls ne l’a pas sanctionnée…
Le Premier ministre ne pouvait se permettre une nouvelle crise. Il ne faut pas croire que le fonctionnement politique soit rationnel. Il y a là beaucoup d’improvisation. Montebourg s’était laissé aller à une saillie verbale qui l’a fait chuter. Quelques jours plus tard, Christiane Taubira a joué avec le feu, improvisant un coup qui pouvait l’introniser martyre des frondeurs… si elle avait été démissionnée. C’est ainsi que je lis son propos : « J’assume les conséquences ». Mais comme il n’y a pas de conséquence, elle se retrouve « ver dans le fruit » d’un gouvernement affaibli. Le prétendu mariage pour tous semble loin de tout cela… Mais c’est lui qui protège madame Taubira, et l’autorise à trahir publiquement et impunément. Hollande est déjà puni. Et la France aussi.
Propos recueillis par Frédéric Aimard