Quelles conclusions tirez-vous du succès indéniable des manifestations du 5 octobre ?
Tugdual Derville : La question de fond que nous posions depuis octobre 2012 est désormais placée au centre du débat politique, et pour longtemps. C’est un immense résultat. Nous avons mis la France devant le choix anthropologique qui constitue l’enjeu de société majeur de notre temps : au-delà de la loi Taubira et de ses conséquences que nous contestons toujours, il s’agit de savoir si la procréation humaine doit obéir aux lois d’un marché ultralibéral mondialisé, ou si l’intérêt de l’enfant nécessite la préservation de la famille, écosystème de base de toute société, et de l’enfant contre toute marchandisation.
Grâce à la ténacité paisible de nos manifestants, ce débat est enfin reconnu comme sérieux au sein de chaque grande famille politique. Ces derniers temps, plusieurs prises de position et appels au gouvernement émanant de la gauche, de mouvements féministes et même d’écologistes comme José Bové, ont finalement légitimé notre dénonciation de la marchandisation du corps.
Et le Premier ministre a lui-même validé notre démarche lorsqu’il a cru nous démobiliser en effectuant sa volte-face anti-GPA dans La Croix du vendredi 3 octobre.
Comment analysez-vous le fait qu’une micro contre-manifestation ait réussi à s’inviter dans les médias jusqu’à vous conduire à débattre en direct avec son initiateur ?
Ceux qui veulent nous marginaliser ont beau jeu de s’engouffrer dans la moindre contre-initiative, aussi microscopique soit-elle. Nous avons ainsi subi une prétendue « pétition » bidonnée sur Internet (car on peut la signer des dizaines de fois avec un automate informatique, sans même laisser son nom), sans oublier un opportun sondage aux questions biaisées, pour laisser entendre que les Français nous seraient majoritairement hostiles. Tout cela, c’est le bouillonnement superficiel de l’actualité, qui peut agacer. Mais le courant de fond est bien là. Les éditorialistes politiques le reconnaissent aujourd’hui.
Aucun parti, aucun syndicat, aucun autre mouvement n’a jamais réussi à organiser sur trois années civiles six immenses défilés pacifiques, chacun d’ampleur historique. L’immense mouvement social déjà foisonnant, né de la résistance à la loi Taubira, est désormais installé dans le paysage politique français. C’est à mes yeux le point de départ de l’alternative culturelle que nous préparons, avec des échéances à court, moyen et long terme… sur lesquelles nous devons peser.
Vous assumez donc une posture politique ?
Oui. Et qui fait réellement preuve de sens politique, au sens noble du terme. Sans doute notre constance, notre cohérence et notre altruisme tranchent-ils avec la versatilité égotique qui marque les joutes partisanes. Au fil des années, la parole de nombre des chefs de partis s’est décrédibilisée. Ces paroles ne résonnent qu’à court terme parce qu’elles ne sont pas fondées sur des convictions.
Le revirement opéré à l’avant-veille de notre mobilisation par Manuel Valls, décriant soudain la GPA avec nos propres mots, m’a presque fait mal pour ceux auxquels il avait dit pratiquement le contraire, en 2011, en promettant une « GPA à la française ». C’était dans le magazine Têtu. Comme si les fondamentaux anthropologiques pouvaient tour à tour s’effacer et réapparaître. Comme si, à l’heure des réseaux sociaux, on pouvait encore se permettre de tenir des doubles langages, pour s’adapter à chaque niche électorale. Tout cela sans articuler la parole et les actes. La confiance — les économistes l’ont maintes fois répété — naît de la stabilité des règles et de leur cohérence.
En adoptant comme principe politique l’inconstance et l’ambiguïté, pour ratisser large, les leaders se servent à très court terme, mais désenchantent la société, faute de vision.
Pensez-vous que votre mouvement social offre réellement cette vision dont la France a besoin ?
Je crois même qu’avec ce qui se passe en France naît un nouvel espoir dans le monde. Les mouvements de nombreux pays, constatant le réveil de ce que je nomme « l’âme de la France », nous le disent. Les tribus gauloises — et j’embrasse par cette expression l’accumulation des identités particulières qui forgent notre nation aujourd’hui — apparaissaient comme désordonnées, au regard du centralisme démocratique qui ne veut voir qu’une tête. En réalité, ce foisonnement est le signe d’une créativité, d’une générosité, d’un courage et d’un esprit de rébellion propres à notre nation.
Quand le pouvoir bascule dans la toute-puissance, quand il s’arroge le droit de transgresser des lois fondamentales, un vent de révolte se lève toujours dans notre pays. La contestation fait partie de nos gènes.
On taxe parfois les Français d’arrogance… C’est le revers d’une médaille qui a une face autrement plus féconde : nous ne sommes pas prêts à laisser l’Histoire se faire sans nous. Nous ne nous couchons pas devant ce que d’autres croient inexorable, par exemple le marché mondialisé de la procréation. Les valeurs qui nous tiennent à cœur, nous osons concevoir qu’elles ont une portée universelle. C’est un atout contre le relativisme bioéthique.
Pourtant, c’est bien une tout autre culture – bel et bien française – que la loi Taubira a consacrée ?
Notre mouvement social naît sur des ruines culturelles, celles issues de la déconstruction systématique de la famille. Mais l’idéologie individualo-collectiviste sombre par elle-même dans sa vacuité et ses contradictions. On le voit bien quand une Cour européenne, qui se dit des droits de l’homme, est incapable de prendre position contre la gestation par autrui, qui n’est rien d’autre qu’un nouvel esclavage assorti d’une maltraitance originelle infligée à l’enfant.
Quand nous disons qu’une nouvelle culture est à construire, nous assumons simplement que c’est un travail approfondi, multiforme, touchant à tous les domaines d’activité, impactant à terme le politique. D’où l’ambition de l’écologie humaine à changer la société, de bas en haut.
Nous nous inscrivons donc dans le long terme, même si l’instabilité du temps présent nous oblige à une vigilance de tous les instants.