Mardi 19 avril 2005, je grimpe comme chaque jour la petite rue qui longe le cimetière de ma ville quand les cloches de la paroisse voisine accrochent mon oreille… Je me surprends à me réjouir illico. Car, cette fois, il ne s’agit plus de ce glas tardif et sombre du samedi 2 avril 2005 : une église parisienne nous avait alertés de la mort attendue de Jean-Paul II, en plein premier (et unique à ce jour) congrès de notre association. Dix-sept jours plus tard, c’est une volée qui tinte en pleine ville, faisant fi de la sourcilleuse laïcité hexagonale.
Mon tressaillement est immédiat. Oserais-je dire : peu importe qui ? La nouvelle d’une fumée blanche suffit. Je presse tout de même le pas.
Quelques minutes plus tard, je découvre à la télévision quelques visages de « fidèles » déconfits. Auraient-ils, à force d’avoir étudié les papabile comme on scrute des chevaux de course avant le départ, misé sur d’autres têtes ? Mais qu’ont-ils à gagner ou à perdre ? Où ont-ils placé leur confiance ? Certes, l’âge de Benoît XVI est dans toutes les conversations, en complément de quelques évaluations peu amènes sur la prétendue « rigidité » d’un panzer cardinal que le pontificat démentira jusqu’à son dénouement.
Donner pareil job à un vieil homme de 78 ans que l’on sait fragile, est-ce un acte vraiment insensé ? J’opte pour un joli pied de nez à notre jeunisme. Quand je pense que, dans les entreprises, on se débarrasse brutalement des coûteux quinquagénaires ! Eux-mêmes se croient si décatis pour rebondir que, dans les réunions de coaching pour seniors demandeurs d’emploi, ils se décrètent volontiers trop vieux pour servir ! En voilà un qui pourrait être leur père, sauvé par ses pairs d’une retraite bien méritée. Et qui consent à endosser la charge.
Quelques années et encycliques plus tard oserait-on taxer le pontificat de Benoît XVI de cacochyme ? Assis au milieu de l’assemblée réunie pour l’entendre au Collège des Bernardins le 12 septembre 2008, j’avoue avoir moins écouté son discours (que j’ai relu plus tard) que goûté le silence profondément respectueux de nos « élites » d’habitude si promptes à tancer l’institution ecclésiale. Elles l’ont même longuement attendu, sagement alignées : anciens présidents de la République, universitaires, animateurs de télévision… Pourquoi s’étaient-ils tous pressés pour entendre l’intellectuel leur parler d’une voix douce, à partir de leur propre histoire, des réalités d’en-haut ?
Ce pape-là s’en est allé, cette fois, en sa vraie retraite. Et il nous faut, cette fois aussi, prendre au pied de la lettre son grave aveu de grande faiblesse. De même qu’il nous faut mesurer la confiance qu’il a déjà promise à son successeur.
Est-ce si difficile de donner à notre tour pareille confiance ? Pour autant que la procédure de l’élection soit respectée, ces 115 électeurs n’ont-ils pas – plus que tout autre – les cartes en main ? N’y a-t-il pas Quelqu’un qui leur fait confiance, endossant toutes leurs limites et leurs faiblesses pour accomplir la mission d’élire ? Faire confiance est un acte d’abandon inhabituel au royaume de l’individualisme tout-puissant. Pour rester dans la sphère mâle, ne dit-on pas que la France compte une bonne trentaine de millions de sélectionneurs… de l’équipe de France de football, tous enclins à contester les choix du pauvre officiel ? Il semble difficile à nos contemporains d’accueillir la légitimité d’une autorité. Peu importe pourtant que ce conclave qui va s’ouvrir rassemble uniquement des mâles dans la deuxième partie de l’âge. Peu importe aussi qu’on ait exclu du droit de vote les sages octogénaires (imaginons au passage le tollé hexagonal si tel était le cas dans notre démocratie…).
De tout cela, je ne trouve rien à redire. L’Esprit saura faire avec ce chapitre. Et moi, je me réjouis déjà de la surprise qui nous est promise.