Pierre-Yves Gomez, Gilles Hériard Dubreuil et Tugdual Derville
Le Figaro. Vendredi 7 mars 2014.
Pourquoi le mouvement social issu de la mobilisation contre la loi Taubira s’est-il enraciné si vite, et si profondément, dans notre société ? Ne vient-il pas encore de déjouer tous les pronostics par sa puissance, sa durée et sa ténacité paisible ? Ce mouvement nouveau va bien au-delà d’une loi et des turbulences politiques du moment, car il est porté par une attente magnifique : faire de l’être humain, en particulier quand il est fragile, la mesure de toute chose à laquelle peut s’ordonner et pour laquelle doit s’organiser la société contemporaine. Tel est le fondement de l’écologie humaine.
La société française est à l’aube d’une profonde transformation. Car nous changeons d’époque : derrière nous, il y a l’économie spéculative, l’hyperconsommation érigée en mode de vie, la politique réduite à une surenchère de droits individuels et l’absolutisation de la technique excluant tout garde-fou éthique. Or nous savons désormais que l’idéologie ultralibérale au plan économique et ultralibertaire au plan sociétal ne produit pas une société durable. Elle a partiellement épuisé notre planète, nos entreprises et nos systèmes sociaux, et toujours au détriment des plus pauvres. Continuer à défendre ces idéologies, c’est tourner le dos au progrès. Une mutation s’impose. Elle prendra du temps. C’est une nouvelle façon d’agir pour le bien commun qu’il nous faut inventer. Dans une société devenue plus fluide, plus interconnectée, plus informée, chacun peut apporter sa contribution à son niveau, à partir d’un engagement humble et ambitieux, c’est-à-dire généreux. Car nous n’attendons ni solutions clés en main, ni hommes providentiels. À chacun de décider comment participer à la transformation pour la paix sociale. L’enjeu est de favoriser une écologie humaine qui mette le souci de « tout l’homme et de tous les hommes » au centre des préoccupations de notre temps, de nos politiques, de nos entreprises, de nos écoles ou de nos hôpitaux.
L’écologie humaine considère chaque personne dans sa capacité à prendre en charge son environnement naturel et culturel. Elle la situe au coeur des décisions pour que soient préservées son identité et sa dignité, ainsi que sa responsabilité vis-à-vis de son environnement. Cet environnement naturel ou social doit en effet être un espace d’humanisation : tout être humain a besoin de s’y épanouir. Sinon, il finit par s’atrophier. L’urgence est donc de changer notre regard sur les institutions, les événements et les problèmes pour les voir « à hauteur d’homme », c’est-à-dire au niveau de leurs conséquences pour les personnes concrètes et notamment les plus vulnérables. C’est reconnaître que le fondement d’une société libre est la bienveillance, que ses membres se consentent volontairement en se reconnaissant mutuellement comme des personnes humaines à part entière.
Le Courant pour une écologie humaine (CEH) est né d’une prise de conscience et d’un désir d’agir pour faire progresser l’écologie humaine au coeur de notre société. Son but est de favoriser les conditions d’engagement du plus grand nombre, pour que l’Homme soit la mesure de nos attitudes, de nos réflexions et de nos décisions. Cinq cents personnes se sont rassemblées le 22 juin 2013 pour fonder le CEH avant de le diffuser dans les régions de France. « Métapolitique » et hors du champ partisan, son objectif est d’encourager à prendre en compte l’écologie humaine dans les espaces sociaux, économiques, politiques, culturels et spirituels de notre société. Notre courant s’appuie sur des « alvéoles », petits groupes de personnes qui s’associent pour repérer des expériences qui relèvent de l’écologie humaine et pour en inventer de nouvelles. Transformer la société est un grand défi. Heureusement, notre recherche de voies nouvelles montre qu’elle est déjà en cours de mutation, à partir d’initiatives locales multiples et de processus innovants. Souvent modestes, ces expériences sont inestimables parce qu’elles révèlent qu’il est possible d’agir partout au service de l’Homme : à proximité, en commençant par le bas, et sans négliger les périphéries.
L’Homme est la seule mesure ! Nous le redisons. C’est pour lui que nous annonçons aujourd’hui la tenue des Assises de l’écologie humaine, en novembre 2014. Nous y donnerons à voir que des transformations sont déjà à l’œuvre ou se préparent à tous les niveaux de la société. À travers la production de « Cahiers de bienveillance » nous proposerons un formidable réservoir d’idées, de propositions à l’occasion d’un rassemblement qui sera la première fête de l’écologie humaine.
Nous montrerons combien l’humanité porte en elle-même d’énergie positive. Nous contribuerons ainsi à notre manière à une transformation de la société sans autre effusion que celle de l’espérance.
* Respectivement économiste, directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises/EM Lyon ; spécialiste de la gouvernance des risques technologiques et président du Fonds pour la culture démocratique ; fondateur d’« À bras ouverts », délégué général d’Alliance Vita.