Cette semaine, une info insolite m’a accroché l’oreille : à l’issue d’une garde à vue, un homme a osé noter, sur les réseaux sociaux, l’hôtel de police de Metz : son vivre, son couvert, sa literie, ses sanitaires. Comme s’il sortait d’une chambre d’hôte.
On peut s’amuser d’une telle insolence, mais le système d’évaluation que prépare la Chine m’a fait bondir. À partir de mai, les citoyens y seront notés, un peu comme avec notre permis à points, mais de façon générale : le gouvernement va compiler les données personnelles digitales. L’addition des amendes, désobéissances ou incivilités fera baisser le « crédit social » d’un individu, jusqu’à interdire son accès à l’emploi, au logement social ou au transport. La reconnaissance faciale pourrait traquer les proscrits. Et même leurs amis.
Songeons à ce qu’un État totalitaire peut faire d’un fichier des citoyens notés selon ses critères de bonne conduite. La pensée unique injectée dans les big data, c’est Big Brother assuré !
Mais qu’en est-il chez nous, en système libéral ? Sur internet, c’est l’inflation des notations : hôtels, restaurants, vendeurs et acheteurs, co-voitureurs… Tout est noté : villes, écoles et hôpitaux. Les vins, les services… et les gens. Il paraît même que les prestations sexuelles sont évaluées sur certains sites de rencontre…
Est-il sain de nous noter les uns les autres ? Le client d’Uber note son chauffeur. Qui note aussi son client. Et gare aux mal notés ! Éjectés, bannis sans préavis. Sur des critères discutables. Stupeur d’une cliente d’Uber apprenant de son conducteur qu’elle est mal notée, simplement parce qu’elle travaille en voiture au lieu de discuter avec le chauffeur.
La biotechnologie aussi nous évalue. Au début de sa vie, l’embryon conçu in vitro est noté A, B, C ou D. Nos étudiants grévistes qui exigent des notes au-dessus de la moyenne savent-ils que certains ont déjà survécu à cette sélection embryonnaire ? Mais on risque d’aller plus loin. Pour Francis Crick, séquenceur de l’ADN : « aucun nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests (…) sur sa dotation génétique» ! Et de conclure : « S’il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie ». Glaçant, non ?
Évidemment, vous ne saurez rien de la note que j’attribue à ma femme, mes enfants ou mes amis, à leurs services ou leurs cadeaux. L’amour ne se note pas ! Et si je n’appelle pas à la grève des notations, je plaide pour une vraie réflexion. Je vous suggère donc de commenter cet édito… sans le noter.
Une réflexion au sujet de « Abus de notations (6 avril 2018) »