Aujourd’hui, trêve. Jour des défunts. Il est bienfaisant de nous souvenir de nos chers disparus. Comme beaucoup, ma première grande peine n’est pas liée à la mort d’un être humain mais à celle d’un animal familier. Épreuve brutale car ce fut un assassinat. Les cochons d’Inde que nous élevions, mon frère et moi, avaient été saignés nuitamment par une belette. Je vous passe l’aspect désolant de leurs dépouilles. Nous avons pleuré à chaude larmes les pauvres bêtes avant de les enterrer religieusement au fond du jardin de nos grands-parents. La proximité des animaux a le grand mérite d’aider les enfants à apprivoiser la mort.
Ensuite viennent en effet, chacun à son heure, d’autres deuils. Humains. Plus ou moins logiques, plus ou moins scandaleux, au point parfois de sembler impossibles à surmonter. Aux obsèques, nous nous surprenons pourtant à continuer de vivre, malgré tout. Certaines funérailles ont même une tonalité festive, soit que le défunt paraisse rassasié d’années, soit par l’Espérance qui voit dans la mort un passage vers l’éternité joyeuse.
Hélas, les rites de deuils sont aseptisés, voire effacés. Et les corbillards banalisés. On ne les voit plus fleurir nos rues. Les dais noir-argent signalant un mort dans une maison ont disparu. Les défunts sont stockés à l’écart, sortent en catimini par la petite porte des hôpitaux. Cela ne nous aide pas à réaliser que la mort fait partie de la vie. Je suis mortel – l’être humain se définit ainsi. Je parle à des mortels. D’ailleurs, nos morts ne font pas seulement partie de notre passé : en mourant, ils basculent vers notre avenir.
J’ai accompagné – au sein du service SOS fin de vie d’Alliance VITA – des personnes gravement endeuillées. Certaines ressassaient un sentiment d’échec : « J’étais absent pour sa mort ! » ou « Nous n’avons pas pu nous dire adieu ! » J’ai vu des personnes qui refusaient de vivre. Elles survivaient avec, pour ainsi dire, un pied dans le tombeau de leur cher disparu qu’elles craignaient d’oublier. Pourtant, la mémoire sait laisser au souvenir sa juste place pour qu’il nous porte, sans nous empêcher de vivre.
Alors, aujourd’hui, je vais évoquer ces morts – déjà nombreux à mon âge – qui ont marqué ma vie. Je vais dresser leur liste sur un papier : ascendants, amis, enfants porteurs de handicaps d’À Bras Ouverts partis trop tôt, célébrités… Je vais écrire leurs noms et faire défiler leurs visages paisiblement pour récapituler avec gratitude les forces de vie qu’ils m’offrent. Car l’évocation de nos morts est source de vie.