Thème du débat : Quelle est la stratégie de la “Manif pour tous” ? (extraits)
Marc : A quoi sert-il de manifester puisque tout semble plié désormais?
Tugdual Derville : Rien n’est jamais plié dans la vie et notre mouvement social, qui est historique par son ampleur, par son ton et aussi sa vitesse de développement, ouvre des perspectives très nouvelles dans la vie publique de notre pays.
Yi Kiu : La loi étant sur le point d’être votée, une fois que ce sera chose faite, quand comptez-vous arrêter ce mouvement ?
Tugdual Derville : Un mouvement social, par essence, c’est spontané et multiple. (…) La question n’est pas tant de s’arrêter que de prévoir les modes de déploiement de ce grand mouvement social.
TRL : Les Francais ont voté sur la base d’un programme clair en faveur du mariage pour tous. Les élus du peuple votent/ont voté en faveur de ce texte. Il y a eu des centaines d’heures de débats au Parlement. Comment votre mouvement peut-il arguer que Hollande est un dictateur, qu’il existe un “déni de démocratie”? Êtes-vous contre le choix du peuple? Êtes-vous contre la démocratie?
Tugdual Derville : C’est une question riche. Personnellement, je ne vois pas M. Hollande comme un dictateur mais comme le président de tous les Français. J’attends de lui qu’il agisse en homme d’Etat. Je crois qu’il a déjà renoncé à un nombre important de ses promesses électorales ; dans les domaines économique ou social, devant la réalité. Cette mesure numéro 31 avait été très peu débattue pendant la campagne. La question de la démocratie mérite d’être posée. Et nos manifestations s’inscrivent justement dans la chance qu’elles nous donnent de manifester et de nous exprimer librement. A mes yeux, cette démocratie est blessée à double titre. Par le projet, par le fond même d’un texte qui conduirait à priver certains enfants de références parternelle ou maternelle, alors que c’est un droit inaliénable de l’être humain. Sur la forme, nous avons été traités comme des sous-citoyens, notamment avec le rejet de la plus grande pétition jamais organisée en France par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui, d’une certaine manière, à tuer toute idée de démocratie participative. Il demeure parfaitement démocratique de contester l’injustice des lois même votées, et c’est d’ailleurs l’objet des toutes nouvelles lois que d’en effacer des anciennes.
Pierre : Ne pensez-vous pas que les propos (“Hollande veut du sang” de Frigide Barjot entre autres) de la part de votre camp vous rendent responsables des débordements et violences de ces dernières semaines ?
Tugdual Derville : Ses propos ont été corrigés heureusement. Et ils signifiaient une forme de colère. Pour ma part, je récuse fermement tout amalgame entre notre mouvement et tout type de violence. Je pense qu’il faut récuser plus fortement encore la façon dont certaines personnes ont appelé carrément à des bombes sur le trajet de nos manifestations, avec retweet de M. Pierre Bergé. Ce qui me semble être la force de notre mouvement, c’est la non-violence intérieure. C’est celle qu’exprime désormais dans la rue le mouvement naissant des “veilleurs”. Je constate que le pouvoir utilise désormais comme élément de langage pour nous décrire les mots de “violence” et de “haine” qui sont aux antipodes de ce que nous vivons comme fraternisation derrière nos banderoles.
ClementD : Vous sentez vous responsable de la montée d’homophobie en France?
Tugdual Derville : (…) J’ai discuté sur France Culture, lundi dernier, avec la présidente de SOS Homophobie, qui a clairement exprimé que non seulement, le seul fait de s’opposer au mariage entre personnes de même sexe assorti du droit d’adopter des enfants, était homophobe, mais que les personnes homosexuelles qui manifestent avec “Manif pour tous” sont également homophobes.
Maurice : L’UMP doit-elle s’engager fermement à abroger cette loi en cas de victoire en 2017 ?
Tugdual Derville :Oui, mais c’est très complexe avec ce type de loi. Imaginez revenir en arrière car on tromperait les personnes qui se seraient mariées ou des enfants qui aurait été adoptés entre-temps. C’est pour cette raison que notre mobilisation est si tenace. Ensuite, je tiens à préciser que nous sommes ni les faire-valoir d’une majorité actuelle qui semble avoir fait de ce sujet un enjeu symbolique dont les observateurs peuvent reconnaître que cela masque une forme d’impuissance dans les autres domaines, ni les faire-valoir de l’opposition: que des parlementaires courageux et experts s’impliquent fortement, c’est tout à leur honneur, mais nous savons aussi que c’est le ministre de l’éducation nationale du précédent gouvernement qui a cautionné l’arrivée de la théorie du genre dans les écoles. Notre mouvement devra continuer d’être libre de tous les partis. Sa force, c’est aussi qu’il est irrécupérable.
NolC : Vous parliez des suites du mouvement, pensez-vous qu’il serait possible que vous présentiez des listes aux prochaines échéances électorales ?
Tugdual Derville : Personnellement, je vois davantage l’émergence d’un courant d’écologie humaine qui a une dimension métapolitique, c’est-à-dire intéressant pour tous les partis. (…) Notre mouvement n’est ni de droite ni de gauche, mais il pose une question nouvelle qui a la même portée que la question posée quand l’écologie environnementale est née. Du fait de l’évolution de la puissance de l’homme, elle s’est interrogée sur la planète que l’humanité était en train de léguer aux générations futures. Nous, nous demandons que l’on s’interroge sur le patrimoine commun à toute humanité qu’il faut reconnaître, protéger et transmettre aux générations futures.
Visiteur : Pourquoi tant de ferveur pour une réforme qui donne des droits à une part importante de la population sans en enlever aucun?
Tugdual Derville : (…) Tout se passe comme si dans un immeuble, les habitants du rez-de-chaussée disaient: nous allons enlever tous les murs pour vivre dans une sorte de loft et ça ne regarde que nous. Les locataires du dessus protesteraient immédiatement en soulignant qu’on est en train d’enlever les murs porteurs et les poutres maîtresses. Celles qui fondent toute la société. (…) Et la procréation artificielle, que ce soit par insémination artificielle pour les femmes, ou gestation pour autrui pous les hommes, ce sont les autres appartements du même immeuble. Les premiers enfants, qui feront l’objet d’une revendication d’adoption, sont ceux qui auront été procréés artificiellement. On voit déjà les sociétés américaines proposer leurs services pour 100 000 dollars l’enfant.
nAth : Échangez-vous avec les anciens opposants au mariage homosexuel des pays ayant déjà ouvert le mariage aux couples homosexuels ? Quel est leur bilan après quelques années de mariage pour tous ?
Tugdual Derville : En Hollande, nous avons découvert que le promoteur de la loi réclame désormais l’ouverture d’un mariage à trois ou quatre. En avouant que c’est un sujet difficile. (…) Il ne s’agit pas pour nous de dire que ce serait la fin du monde, mais dire que c’est le moment de réfléchir en profondeur à ce qu’est un homme, ce qu’est une femme, et les besoins spécifiques de l’enfant. Quand Mme Taubira a dit hier “l’enfantement ne fait pas la mère”, nous voudrions un vrai débat approfondi, alors que les sciences sociales ne cessent d’approfondir la question très riche des interactions entre une femme et l’être humain qu’elle porte, qui ont des impacts psychiques de plus en plus incontestables. Avant de basculer vers un système qui s’apparente aux droits à l’enfant, totalement dissociés de l’altérité sexuelle, il faudrait poser honnêtement toutes ces questions.