Du mensonge poignant de M. Cahuzac, les yeux dans les yeux, au démenti politique théâtral de Mme Taubira, preuve du contraire en main, notre pays aurait-il changé de culture ? L’ex-ministre du Budget a été sanctionné. La ministre de la Justice reste en place, invulnérable. C’est révélateur.
La culture du mensonge menace notre démocratie jusqu’au sommet de l’État. Un régime de liberté a besoin de cette vérité qui rend libre, sans laquelle le peuple est soumis à la manipulation, même dans l’isoloir, désinformé et maintenu dans un état de fascination hypnotique.
Aujourd’hui, notre précieuse devise nationale est menacée de dévaluation par rupture avec le réel. La liberté se dénature en loi du plus fort si la culture devient ultralibérale-libertaire. L’égalité se mue en égalitarisme si elle nie la différence, jusqu’à celle qui distingue la femme de l’homme et les relie dans l’engendrement. Quant à la fraternité, chacun la conçoit comme midi à sa porte, pour la réduire à son profit. “Liberté, égalité, accessibilité”, clame actuellement la louable campagne d’une association défendant les personnes handicapées. Soit, mais le Planning familial a choisi, avec “Liberté, égalité, sexualités”, de nous faire regarder l’humanité par le petit bout de sa lorgnette. Tandis que d’autres ont déjà osé “Liberté, égalité, parentalité”, sans égard pour les droits de l’enfant.
La vérité serait-elle devenue un trop gros mot pour nos consciences affaiblies ? La gêne surgit vite en situation de pouvoir : « Qu’est-ce que la vérité ? », s’embarrasse Pilate. Le relativisme contemporain a trouvé la solution de facilité : “Chacun sa vérité !” De quoi désagréger cette vérité dans l’individualisme. Après cela, chacun pour soi ? Puis libre à chacun d’épouser des vérités successives… Pourtant, la quête de la vérité est inscrite dans l’âme humaine ; elle est à la source de la philosophie et des progrès scientifiques. Et sans une telle quête, pas de justice, qu’elle soit sociale ou judiciaire.
Nos magistrats font ainsi solennellement appel à la vérité en imposant aux témoins de jurer en son nom. Puis ils creusent les faits ; ils tentent même de sonder les coeurs, en vérité, pour que chaque jugement soit adapté. Ils savent endiguer les fleuves d’émotion trompeurs d’opinion. Sans vérité dans les prétoires, place aux sentences arbitraires des régimes totalitaires. J’ai décrit dans la Bataille de l’euthanasie (Salvator) la façon dont la justice de notre pays a su déjouer les pièges de la manipulation des cas emblématiques qui avaient bouleversé l’opinion pour revenir au réel. Ceux qui avaient voulu instrumentaliser la justice ont été déçus.
Voilà pourquoi il est si grave que notre garde des Sceaux ait pu jouer avec la vérité dans des gestes de prestidigitateur. Faut-il rappeler que Mme Taubira a agité devant les caméras deux notes sur des écoutes dont la lecture contredisait ses dénégations ? Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, a cru bon d’absoudre l’entorse à la vérité, mise sur le compte d’une erreur de dates, en affirmant : « C’est acceptable lorsque c’est un ministre qui donne de la fougue à la politique ; et Christiane Taubira, c’est aussi son rôle d’essayer de réenchanter le pays et la politique. »
Peu importe la vérité pourvu qu’on ait l’ivresse ? La récente affaire du lycée Gerson a montré comment fonctionne l’emballement médiatique autour d’un boniment. Première étape : des médias relaient avec empressement des allégations anonymes (les propos qu’auraient tenus des membres d’Alliance Vita devant des élèves de terminale) affublant d’un discours violent un mouvement qui s’attache à la délicatesse. Seconde étape : il est révélé que ces propos n’ont pas été tenus, mais le mal est fait. La diffamation produit, à partir de rien, ses conséquences : de la suspicion, des injures, une inspection. Le procédé est le même qu’à l’époque de la très douteuse affaire Nouchet, exploitée, en 2004, par le lobby LGBT jusqu’à provoquer le vote d’une loi.
Mais prenons garde ! Des nations entières souffrent déjà de la culture du mensonge généralisé. Les mots n’y pèsent plus leur poids, ni la parole donnée. Chacun est alors incité à se méfier des autres ou à s’en moquer. Car la culture de la dérision accompagne toujours celle du mensonge : tout se vaut et rien ne vaut. Situation aussi néfaste à l’économie qu’à la famille. Le mensonge impuni des hommes d’État et des médias peut saper toute la confiance d’une société en elle-même.
Seule la culture de la vérité, qui respecte le réel, est source de prospérité et de paix sociale. Au cœur de l’écologie humaine, elle pourra construire l’avenir, en tissant entre les hommes des relations de bienveillance et d’engagement indispensables pour vivre ensemble.
Tribune parue dans Valeurs Actuelles