Tugdual Derville est délégué général d’Alliance Vita et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine. Il est venu à Lourdes à l’âge de 20 ans en tant qu’hospitalier, il a été émerveillé par l’humanité des plus fragiles. Il témoigne …
Propos recueillis pour Radio présence par Mathias Terrier.
« Ma vie a comme basculé à Lourdes. J’y suis venu quand j’avais 20 ans (…) J’ai été émerveillé en devenant hospitalier par l’humanité d’un petit garçon, Cédric, porteur d’une infirmité motrice d’origine cérébrale. Il ne parlait qu’avec les yeux. J’ai découvert auprès de lui le présent d’éternité ; j’ai découvert que je ne ferais jamais d’aussi grand voyage qu’à la rencontre des personnes fragiles. Ce handicap a comme révélé la profondeur de son humanité. »
« J’ avais le cafard au départ. Un monsieur non-voyant, m’entendant parler avec Cédric dans la salle de transit, a crié « Ah, la jeunesse de Lourdes, qu’elle est belle ! Si la jeunesse de France était comme ça, la vie serait belle ! » Cette phrase est descendue dans mon estomac, je me suis dit : « qui suis-je ? Je me suis dit, de manière volontariste : je veux être jeunesse de Lourdes en France. »
« J’ai mieux compris que le « oui » de la Sainte-Vierge faisait résonner tous nos « oui » : tous nos oui, petits ou grands, construisent cette société d’écologie humaine, altruiste. J’ai découvert progressivement à quel point Lourdes avait influencé ma vie par ces présences si essentielles : il y a ici, dans ce sanctuaire, les pauvres, les petits, les fragiles, ceux qu’on appelle improprement les malades ; ils sont le cœur. Ce pèlerinage à Lourdes a organisé toute ma vie. »
« J’ai découvert que l’émerveillement auprès des plus fragiles était universel : je crois que c’est l’émerveillement de Jésus lui-même, quand il tressaille sous l’action de l’Esprit-Saint : « Père, je te bénis, ce que tu as caché aux sages et aux intelligents, tu l’as révélé aux tout-petits ». Cela a été comme mon école anthropologique. Il y a un message de paix, de douceur universel qui vient de Lourdes, dans un monde assez dur. «
« [Outre cet émerveillement devant les plus fragiles], j’ai fait une autre expérience plus douloureuse qui m’a enraciné davantage, au delà d’une forme d’angélisme ou de naïveté : c’est ma capacité de les rejeter, j’ai ressenti à certains moments une forme de rejet viscéral de [leur] vie même, qui m’a effrayé. (…) Cela a fait descendre le respect de la vie de ma tête à mes entrailles. Certes, il y a un émerveillement sensible face à la beauté de la personne fragile, mais c’est aussi le pari d’une dignité, plus grande que les sentiments, les sensations, un mystère de la personne souffrante. Comme le dit la grand Pascal, « L’homme passe infiniment l’homme ».
« J’essaie devoir chez les autres leur propre capacité d’aimer. Au fond du cœur de l’homme, je sais qu’il y a ce sanctuaire de la conscience où jaillit l’attrait du beau, du bien et du vrai, qui est souvent étouffée par toutes sortes de conditionnements. Il est important de voir que la société avance aussi dans le sens du bien ; le respect de l’enfant par exemple est plus grand aujourd’hui. Nous humanisons notre regard sur les plus fragiles. J’espère que nous humaniserons aussi notre regard sur l’embryon, ce plus fragile que nous rejetons. »
« Ce qui marque le plus À Bras Ouverts, c’est la joie. On se réjouit de choses toutes simples, être ensemble suffit. Nos amis [porteurs de handicap] nous humanisent, nous ralentissent. Ils ont des leçons à nous donner. Ils nous consolent alors qu’il sont souffrants. Mon ami Philippe Pozzo di Borgo dit « Approchez-vous de moi, moi l’intouchable, touchez- moi, réconciliez-vous avec votre part de fragilité » ; la fragilité, c’est ce qui nous relie. »