En perspective de la seconde manifestation nationale du 24 mars 2013, ne craignez-vous pas l’essoufflement de la mobilisation contre le « mariage pour tous » ?
Je reste bien plutôt dans l’élan du nouveau souffle né le 13 janvier 2013, qu’il faut effectivement entretenir, pas seulement à court terme, pas seulement non plus sur ce seul projet de loi. Car ce sont deux logiques plus globales qui s’affrontent à long terme. Toutes les mobilisations qui fleurissent nous préparent à tenir dans la durée.
Est-ce le sens des opérations « La manif pour tous à la mairie » qui se développent actuellement ?
Exactement. C’est une idée simple et symbolique qui a été proposée par des manifestants. Pourquoi ne pas faire des photographies de mobilisation devant chacune des mairies de l’Hexagone ? C’est une façon de montrer et renforcer l’ancrage terrain de notre mouvement. C’est aussi l’occasion de préparer la mobilisation nationale du 24 mars. Nos banderoles ou fanions voyagent, et s’invitent devant les Hôtels de ville, lieux emblématiques, un peu comme le nain de jardin dans le film Amélie Poulain… Et c’est souvent la toute première fois que des villages ou de petites villes sont le théâtre d’une manifestation.
Ne croyez-vous pas que tout cela passe inaperçu, notamment des médias ?
L’avantage de l’ère contemporaine, c’est que chacun est capable de « médiatiser » ce qu’il fait, grâce à Internet. Les photos circulent sur Twitter et Facebook. Internet est d’ailleurs l’une des clés « techniques » de la réussite du mouvement opposé au mariage et à l’adoption « pour tous », l’une des raisons de son émergence rapide.
Même si beaucoup de Français ignorent que les mobilisations se poursuivent localement, ceux qui y participent se savent partie prenante d’un mouvement immense, capable d’agir partout. Leur action non médiatisée se propage comme le feu, capable de couver sous la cendre, voire sous terre, dans la tourbe, entre deux incendies… Par ailleurs, les événements locaux sont relatés dans les médias locaux, davantage qu’on ne le croit souvent, vu de la capitale.
Pourquoi les médias ont-ils fait silence sur le dernier sondage de l’Ifop commandité par Alliance VITA ?
Il ne faut pas entretenir de paranoïa excessive : une certaine lassitude s’est emparée des médias nationaux et de leurs lecteurs, qui ne vivent que de ce qui est neuf (nouveaux visages, nouveaux thèmes, nouveaux événements…). Nous devons en tenir compte. Et c’est justement la raison pour laquelle nous devons rester créatifs, ce qui — je pense — est une qualité incontestable du mouvement. Je travaille personnellement à l’enraciner le plus possible dans le fond des sujets et dans la durée, notamment par cette notion d’écologie humaine ou de « nouvelle écologie humaine ».
N’y a-t-il pas le risque de voir le mouvement se décourager si la loi Taubira est confirmée par le Sénat dès avril, puis, ultimement par le Conseil constitutionnel ?
Tant que les étapes successives ne sont pas franchies, nous nous battons pour gagner. Nous tablons sur l’efficacité directe de nos actions, en gageant que leur fécondité nous surprendra. Il reste peu vraisemblable que le Sénat adopte la loi Taubira de façon « conforme » : il ajustera sans doute certains articles… Il y aura donc un nouveau passage à l’Assemblée nationale. De toutes les façons, quel que soit le destin du projet de loi, nous savons que la vigueur de notre opposition tend déjà à dissuader le gouvernement d’accélérer le processus en matière de PMA, voire sur d’autres sujets de société. Les manifestants doivent donc savoir que leur élan dépasse la circonstance d’un seul texte, voire d’un seul quinquennat.
C’est pourquoi, de même qu’il faut alterner les mobilisations locales et nationales, je pense qu’il faut élargir notre action en nous formant sur la globalité des enjeux. Le mouvement qui se développe est une formidable occasion de creuser des sujets passionnants.
A quels sujets pensez-vous ?
Aux questions majeures qui sont sous-jacentes au projet de loi Taubira et à ses perspectives : qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Un père, une mère ? Et comment peut-on les différencier, sans tomber dans les stéréotypes « machistes », au-delà de leurs différences physiologiques ? J’ai déjà exprimé ici que la question de l’amour vrai doit également être approfondie grâce à ces débats. Il s’agit finalement non seulement de reconnaître les besoins spécifiques de tout être humain, mais encore de préciser davantage les critères de l’humanité.
Pensez-vous que ce soit une réponse à apporter au « Cyborg », l’homme augmenté, face auquel vous nous avez alertés ?
Oui. L’homo sapiens est plus qu’un animal pensant. Cela le distingue des éléphants par exemple, quelle que soit leur mémoire. J’évoque cette espèce parce qu’actuellement la perspective de l’euthanasie de deux pachydermes âgés mobilise un mouvement de protestation qui semble davantage pris au sérieux par les pouvoirs publics que le nôtre !
L’être humain, donc, est doté d’une dignité éminente. Il faudrait même oser parler de « sacralité » de la vie humaine, car l’homme est animé naturellement par un questionnement sur le sens de sa vie qui relève du spirituel. Il vaut donc plus que tous les animaux : il est « sans prix ». Cependant, dans le même temps, chaque être humain est triplement limité par son corps (sexué), le temps et la mort. Le Cyborg (ou organisme cybernétique) auquel le lobby de la transhumanie veut aboutir s’affranchirait de ces limites.
Quel est l’enjeu ultime d’un tel fantasme ?
Ce qui est menacé, c’est l’essence même de l’homme. Les scientistes transhumanistes ne voient en lui qu’un amas de cellules mu par des réactions biochimiques qu’ils se croient en mesure d’élucider et de reproduire. Même la foi religieuse est, aux yeux de certains, la résultante de telles réactions, au point qu’on pourrait la corriger si on la considérait comme une pathologie à éradiquer !
Quel rapport avec la loi Taubira ?
Le transhumanisme a aujourd’hui beau jeu de s’appuyer sur le désir d’engendrement de certaines personnes homosexuelles pour leur promettre une procréation libérée de l’altérité sexuelle…
Cette promesse conduit tout droit à l’utérus artificiel, à l’eugénisme, etc. Pour l’humanité, l’affrontement entre culture de vulnérabilité et culture de toute-puissance qui se dessine ici pose la question de la liberté.
Propos recueillis par Frédéric AIMARD