Le 1er février 2019, Tugdual Derville, Délégué général d’Alliance VITA, participait à une table-ronde sur « L’interruption volontaire de grossesse » lors du IXe Forum européen de bioéthique de Strasbourg, autour du thème : « Mon corps est-il à moi ? ».
Quelques verbatim de son intervention :
« Au sein d’Alliance VITA, nous accompagnons chaque année 2500 femmes et couples confrontés aux problèmes de grossesse au sens large (deuils ante et post nataux, IVG, IMG, infertilité…), sans jugement et avec bienveillance, dans un esprit d’écoute empathique ; nous avons reçu plus de 10 000 témoignages de femmes sur la question de l’avortement. »
» Nous avons tous séjourné longtemps dans le corps d’une femme, émergé du corps d’une autre. Cet « emboîtement », fait d’autonomie et d’interdépendance, dessine la problématique douloureuse de l’IVG.
Quand suis-devenu moi-même ? Nous devons tous la vie à un « oui » maternel, à un moment donné. Pas sur un « amas de cellules », mais sur le début de notre corps, qui s’est développé jusqu’à maintenant sans que la science ne puisse dire qu’à aucun moment, il n’y ait eu une discontinuité. »
» Avec cette question de savoir si « mon corps m’appartient », on a inventé une sorte de fiction (peut-être libératrice, déculpabilisante dans l’intention) considérant que l’embryon in utero, ce n’était pas un être humain pleinement digne de respect. Pourquoi en est-on arrivé là ? À cause de la souffrance que sa venue peut provoquer.
J’étais un corps étranger, bardé des gènes paternels, et ma mère qui aurait pu me rejeter a inhibé ses défenses immunitaires pour pouvoir m’accueillir. Elle a peut-être inhibé aussi toutes sortes de peines, de souffrances et d’angoisses, pour que je puisse voir le jour. La grossesse lui fait violence, un autre se développe en elle.
C’est notre histoire à chacun.
Comment préserver à la fois la vie de l’enfant et la vie de sa mère ? «
» Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, il faut regarder avec réalisme la place de l’IVG.
– La première question souvent posée aux femmes par le gynécologue est « Est-ce une grossesse désirée ? » Cela pousse les femmes à une réponse binaire, c’est violent, alors qu’on sait que c’est une période d’ambivalence naturelle des sentiments : on vit en même temps l’effroi et la joie, la peur et l’impatience, l’angoisse et le désir.
On met les femmes devant le choix inhumain de sceller le sort de vie ou de mort de celui qu’elles portent.
– Énormément de femmes que nous accompagnons subissent de puissantes pressions du compagnon, avec du chantage affectif et des menaces de séparation, alors que l’IVG est censée reposer sur le choix de la femme. Les hommes ne ressentent pas la grossesse dans leurs corps, ils ne se sentent pas devenir pères ; ils ont besoin de temps pour réaliser que ce n’est pas une idée, mais une réalité charnelle.
– Les femmes subissent également une pression liée aux conditions matérielles. Un rapport de la Halde avait montré que la pression de l’employeur rentre en ligne de compte dans leur choix de l’IVG. Elles n’osent pas annoncer leur grossesse dans le monde du travail, où on voit que la grossesse peut induire un jugement extérieur (grossesses trop rapprochées…)
– Les normes sociales comme l’âge pèsent aussi sur les femmes confrontées à une grosses imprévue ; des jeunes femmes de 25 ans nous disent ainsi être trop jeunes pour être mères, avoir honte de ne pas répondre au « standards ». Notre société a projeté un idéal d’enfant programmé, comme dans cette publicité qui parle de « réussir son bébé » ; il doit être bien désiré, bien programmé, bien en bonne santé. Quand l’un ou l’autre de ces éléments n’est pas là, il est difficile de résister aux normes.
– Il pèse une forme d’injonction sociale, qui fait croire aux femmes et aux couples que si la grossesse n’est pas programmée, il ne vaut mieux pas aller jusqu’au bout, on se l’interdit. Alors que le consentement à l’imprévu, l’accueil de ce qui au départ n’était pas désiré, fait justement partie de nos vies. Ce n’est pas parce que je n’ai pas été programmé ou désiré que je ne peux pas être accueilli. Dans notre écoute, nous allons chercher le lieu, au fond du cœur de la personne, où il y a une étincelle de vie qui permet de donner sa chance à la grossesse.
– Il manque 80 millions de femmes en Inde et en Chine, à cause du féminicide de l’avortement sexo-sélectif, qui provoque un grave déséquilibre démographique. Il faut regarder en face que quantitativement, ce sont les femmes qui sont les premières victimes d’une technique censée les émanciper. »
« 72 % des femmes qui vivent une IVG étaient sous contraception réputée fiable lorsqu’elles se sont retrouvées enceintes. C’est le fameux paradoxe contraceptif français : un fort taux de contraception et un fort taux d’IVG. »
« Selon un sondage IFOP, 91% des femmes françaises estiment qu’une IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre ; et 72 % aimeraient que la société fasse davantage pour aider les femmes à éviter l’IVG. »
« Alliance VITA édite un guide recensant toutes les aides publiques destinées aux femmes enceintes, distribué par les travailleurs sociaux : il a une place pour plus d’information, pour éviter aux femmes de recourir à l’IVG sous pression. »
»Notre pays détient le triste record du monde de l’IMG de 96 % des fœtus atteints de trisomie 21 : comment peut-on dire à la fois aux personnes porteuses de handicap de prendre toute leur place dans la société, et tout faire pour les supprimer avant la naissance ? Il faut s’interroger sur ce phénomène culturel. En tant que fondateur d’une association qui accueille des jeunes touchés par le handicap, je me demande comment cela se fait que ces personnes qui ont tant apporté à ma vie, malgré ou avec leurs fragilités, sont celles qu’on rejette le plus, parce qu’on pense qu’elles vont nous rendre malheureux ou être malheureuses ? »
« Sur ce qui concerne la prévention de l’IVG, je voudrais insister sur l’importance de l’éducation affective et sexuelle (pas seulement technique), sur la nécessité de connaître le fonctionnement du corps et la beauté de sa fécondité. Il faut informer garçons et filles sur leurs modes de fonctionnement, sous peine de voir le corps comme un ennemi. Dans certains pays, on observe le « B to B » ; des adolescentes témoignent devant d’autres, par exemple d’une expérience de grossesse précoce. Le témoignage peut être marquant et aider à responsabiliser. »
« On entend parfois des discours de banalisation de l’IVG (« C’est comme prendre une aspirine quand on a mal à la tête ») chez des hommes qui nous appellent, pour lesquels la grossesse est une idée. Or on nie la réalité, l’IVG peut laisser des traces dans la vie des femmes, la douleur persister : on en a des dizaines de témoignages. Des dizaines d’années après, elles se disent « Il aurait quel âge ? » ; « Ce n’était qu’un embryon (sic), mais c’est moi qui l’ai tué ». Ce n’est pas vraiment elle qui l’a tué, en fait ; elle a été sous pression.
Il y a une nécessaire éducation des hommes à la réalité de ce qu’est l’IVG pour les femmes.
Mais il ne faut pas en faire une généralité ; parfois au contraire les hommes sont exclus de la décision, et souffrent aussi énormément de l’IVG de leur compagne. Derrière toute IVG, il y a un homme à prendre en compte. »
« L’IVG n’a rien d’anodin, la plupart des femmes souhaiteraient l’éviter. Ne peut-on s’entraider pour que la prévention de l’IVG permette aux femmes de ne plus y recourir à contrecœur ?
Il faut préserver ensemble la vie de la mère ; le soutien du compagnon s’il existe ; et la vie de celui qui n’est pas encore là, qui n’est pas seulement un corps, qui est déjà un être humain – dont personne ne m’a jamais démontré qu’il n’était pas aussi digne d’être respecté que moi-même. Faisons tout pour qu’aucune femme n’avorte à contre-cœur, poussée par une ambivalence de désir qui n’a pas été écoutée, par un compagnon qui a fait pression, par des raisons économiques ou des normes culturelles.
L’enjeu est de réconcilier les femmes et les hommes avec la vie, que nous avons tous reçue, et qui est pleinement respectable. »