À l’issue d’une conférence, un jeune auditeur est venu me voir, souhaitant échanger sur des questions éthiques concernant son métier. Nous avons pris rendez-vous, puis il m’a demandé : « Pourrions-nous nous rencontrer dans un lieu discret, pour que personne ne nous voie ensemble ? »
Sa demande m’étonnait. Nous en avons parlé : il craignait des conséquences pour son travail si on découvrait que nous nous connaissions. Il avait une autre question : « Dois-je dire à mes patrons que je suis chrétien ? ». Compte-tenu du contexte, je l’ai incité à la prudence. Dans l’évangile, ce sont des démons qui révèlent en premier qui est Jésus. Le Christ les en empêche, car son heure n’est pas venue. L’idée que les Juifs se faisaient alors du Messie n’était en rien celle d’un Crucifié. Aujourd’hui encore, ce dieu dans lequel le Monde ne croit pas n’est pas du tout le Dieu de miséricorde dans lequel nous croyons, ce qui explique bien des malentendus.
Pour autant, la Croix du Christ est-elle notre fierté ou notre honte ?
A force d’être rejetés, ceux qui veillent au respect de la vie risquent d’intérioriser le caractère infamant de l’étiquette « catho » qu’on leur colle au front. Même au sein des communautés chrétiennes, on entend que tel ou tel est « trop marqué » pour être fréquentable. D’où une mentalité de parias qui accentue un processus de ghettoïsation. Le dissident tchécoslovaque Václav Benda suggérait d’abattre les « rideaux de fer en miniature » que nous construisons à l’intérieur même de nos têtes.
Car attention ! Les catholiques de France ne commencent-ils pas à être perçus – et aussi à se percevoir – comme l’ont été les Juifs quand montait l’antisémitisme ? Suspects d’être des ennemis de l’intérieur. Tolérés dans leurs espaces privés ou pour leurs services humanitaires. Caricaturés, moqués voire agressés dès qu’ils s’opposent aux lois qu’ils jugent iniques mais que sacralise la République. Certains se terrent et se taisent.
Une forme d’anti-christianisme plus ou moins explicite émerge : multiples profanations, attaque contre une crèche vivante à Toulouse, publicité de supermarchés invitant leurs clients à réveillonner n’importe quand « sans laisser la tradition rimer avec convention et obligation ».
Au fond, n’est-ce pas le Christ qui devient tabou ? Je voulais souhaiter Noël par SMS : les émoticônes proposées furent, dans l’ordre, un cadeau, un sapin, une tête à capuchon rouge.
Dans la maison commune, nulle place pour que naisse Jésus, pas plus aujourd’hui qu’il y a 2000 ans.
Que cela n’entame en rien la joie de Noël !