Chantal Lorho recevait Tugdual Derville sur RFI, le dimanche 27 mai 2018, dans le cadre des États-généraux de la bioéthique, pour une table-ronde sur la fin de vie.
Verbatims issus de l’émission :
« C’est franchir une ligne rouge que de passer à l’acte pour un médecin : qui suis-je pour tuer ? qui suis-je pour faire ce geste qui ne correspond pas à la déontologie médicale, qui aussi interdit ce qu’il pourrait arriver après ? Pour moi la prévention du suicide ne doit pas avoir d’exception, surtout dans les cas les plus ultimes. »
« On voit ce qui s’est passée en Belgique depuis la légalisation de l’euthanasie en 2002, pour des cas extrêmement encadrés au démarrage, on arrive à un total de plus de 15 000 euthanasies, à une loi qui a autorisé l’euthanasie des enfants, sans limite d’âge, et la commission de contrôle n’a jamais ou presque porté devant la justice les euthanasies non déclarées. Il y a des euthanasies clandestines qui se sont développées très fortement, jusqu’à 42% dans certaines régions. On lève les tabous, ça devient très difficile de résister : ce que nous voyons c’est qu’une porte entrouverte est une porte ouverte, et ça glisse ensuite comme on le voit aujourd’hui. »
« Il y a un choix truqué qui trompe les Français ; on leur fait croire qu’il faudrait choisir entre et mourir et souffrir, alors que nous avons les moyens [de soulager la souffrance]. C’est un scandale lorsqu’une personne demande la mort car elle soufre, cela veut dire que sa douleur n’est pas bien traitée, que sa souffrance morale, sociale, éventuellement spirituelle n’est pas bien traitée. On a cette nécessité de se faire solidaires de ceux qui souffrent. »
« [Dans le cadre de] la loi Claeys-Leonetti, à Alliance VITA nous avons été très prudents et réticents face à cette notion d’un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ; considérant que la sédation est parfois nécessaire à titre tout à fait exceptionnel, parce qu’elle enlève toute liberté d’échange, de relation ; mais nous sommes inquiets si la sédation est utilisée pour déguiser une forme d’euthanasie, et nous l’avons dénoncé. Heureusement depuis quelques mois en France, la Haute Autorité de Santé (HAS), en lien avec la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), quia travaillé sur ces enjeux, qui a une grande expérience de la sédation et de ses limites, a édicté des recommandations sur l’usage d’une sédation qui nous semble sage, c’est-à-dire une sédation absolument exceptionnelle, de dernier recours, et non pas un succédané de l’euthanasie qui serait effectivement une manière hypocrite de régler le problème. »
« Alliance VITA a proposé un formulaire très pédagogique de directives anticipées. Nous croyons que la fin de vie est un sujet extrêmement complexe ; on ne peut pas résoudre cette complexité avec simplement avec cette notion de sédation, voire de directives anticipées. (…)
« C’est tout le risque d’une société très individualiste, très élitiste aussi, que de considérer que certains de ses membres ne valent plus forcément la peine d’appartenir à cette société, et de le leur montrer ! Parce qu’on est extrêmement dépendants, moi le premier, du regard des autres ; si j’ai un regard qui me dit que je suis aimé pour ce que je suis, respecté dans mes faiblesses et ma vulnérabilité, que de devenir incontinent ce n’est pas perdre sa dignité, que de perdre une partie de ses capacités c’est demeurer pleinement humain ; si on me le dit, j’aurai envie de vivre. Mais si on me montre que je ne fais plus vraiment partie de la société parce que je suis entré dans ce que les gens croiront être une forme de déchéance, alors je risque de m’auto-exclure moi -même. Du coup nous nous disons qu’il faut restaurer sans cesse ce dialogue entre soignants, soignés et proches, faire circuler cette parole, écouter tout, y compris les demandes de mort, et maintenir cet interdit fondateur de notre vivre-ensemble qu’est l’interdit de tuer. »
« À partir du moment où on ouvre la porte à certains types de douleurs ou de souffrances, ce n’est plus la maladie qui tue, mais le médecin, qui transgresse dans une forme de toute-puissance, ça devient extrêmement difficile pour une personne fragile de résister à une pression collective. Des associations, en Belgique, demandent désormais qu’une personne de plus de 75 ans, « fatiguée de vivre », puisse avoir accès à l’euthanasie. On voit bien que de glissement en glissement, ça pousse les personnes vers l’exclusion. »
« C’est une question culturelle. J’ai eu une discussion avec un médecin africain et un médecin belge. Le médecin africain me disait : « Qu’est-ce qui vous arrive, dans vos pays, avec les personnes âgées ? Pour nous, un vieillard assis voit plus loin qu’un jeune debout. » Et le médecin belge me racontait qu’il avait reçu une personne âgée, que ses enfants avaient convaincue d’être euthanasiée. Et seul avec le médecin, le patient lui avait demandé : « Docteur, est-ce que vous croyez que j’ai le droit de vivre encore un peu ? »… Parce que culturellement, lorsque dans un pays on euthanasie, immédiatement ça fait entrer dans le champ du possible, et éventuellement le champ du devoir, pour laisser la place. Et on parle d’euthanasie altruiste. Et en Belgique on discute même d’articuler l’euthanasie avec des prélèvements d’organes, il y a eu des colloques dans ce domaine, pour que le prélèvement d’organes soit optimisé grâce aux euthanasies. Et ça nous n’en voulons pas en France !
Une société qui refuse l’euthanasie doit aussi lutter contre l’ euthanasie sociale des personnes âgées, leur exclusion, leur ghettoïsation. (…) C’est un défi, qui doit nous mobiliser pour que nous soyons solidaires de ces personnes, plutôt que de les laisser de côté.
À lire pour aller plus loin :
Tugdual Derville a publié en 2012, La bataille de l’euthanasie. Enquête sur les 7 affaires qui ont bouleversé la France (Salvator).