Une directive européenne intitulée « Travel » comme « voyage » m’est montée au nez. C’est la goutte d’eau qui explique le débordement de cet édito.
Voilà un texte voté en 2015 par l’Union Européenne pour protéger les consommateurs de voyages. Je n’entrerai pas dans ses détails. Pour la France, la direction générale des entreprises l’a transposé sans nuance. Résultat : à partir du premier juillet prochain, tous les organismes à but non lucratif organisant des séjours pour les jeunes (colonies de vacances ou camps scouts par exemple) seront soumis aux mêmes règles qu’une agence de voyage, c’est-à-dire contraints d’immobiliser de fortes sommes pour garantir le remboursement de leurs « clients » en cas d’annulation d’une activité. La technocratie française s’est combinée à l’européenne pour aboutir à pareille absurdité.
On impose à des organismes non-commerciaux, dédiés à l’éducation populaire, des règles édictées pour le monde marchand, comme si le bénévolat devait se soumettre à l’économie. Les mouvements les moins riches ou trop petits pourraient devoir mettre la clé sous la porte, ou s’affilier à des plus gros, au risque de perdre leur indépendance.
Un an après avoir fondé À Bras Ouverts, j’ai effectué un stage au ministère de la Jeunesse et des Sports. L’association organise des séjours pour des enfants et jeunes porteurs de handicaps. J’en ai profité pour poser à un inspecteur général de la jeunesse et des sports une question simple : « Que dois-je faire pour être en règle avec la législation en vigueur ? » Après m’avoir écouté avec bienveillance décrire nos activités, l’inspecteur m’avait répondu : « Surtout rien : à ce stade de ton œuvre, le droit la tuerait ». C’était il y a 30 ans.
Depuis, À Bras Ouverts s’est conformé à la législation. Mais l’emprise du droit sur nos vies a empiré. Il pleut des normes, que nul n’est censé ignorer. Sanitaires, sécuritaires… Salutaires prises une à une. Mortelles à l’arrivée, par effet d’accumulation. Car tout est normé, encadré, judiciarisé. On ne peut plus faire un pas sans tomber dans l’illégalité. Impossible d’improviser. Le moindre risque est interdit. Mais le risque zéro, c’est la mort.
Quand la confiance interpersonnelle cède la place au droit, toute innovation sociale est menacée. Ce qui est vrai pour les organismes de jeunesse l’est aussi pour notre vie quotidienne. L’amoncellement des lois et règlements généraux est en passe d’étouffer notre créativité et la vraie solidarité. Vivement le renouveau des corps intermédiaires et de la subsidiarité !