Tugdual Derville était l’invité d’Olivier de Keranflec’h dans l’émission À la Source sur KTO, le 10 avril 2018, pour évoquer la rencontre avec Emmanuel Macron aux Bernardins, l’actualité de la fin de vie et des États-Généraux de la bioéthique.
Interventions à 7’00 et 16’20.
Comment est-ce que vous avez reçu le discours d’Emmanuel Macron ?
J’ai trouvé qu’il était par certains aspects magnifique, c’est-à-dire une nouveauté de ton, une nouveauté aussi dans l‘accueil plein et entier de l’expression de la foi dans l’espace public ; et « en même temps », il nous demande de respecter les lois de la République sans tergiverser, ce qui quand même pose question.
C’est étonnant, parce qu’il y a eu un magnifique paragraphe où il a loué la cohérence de l’Église, de ceux qui défendent l’enfant à naître a-t-il dit – c’est fort quand même ! – et la personne qui est à la toute fin de sa vie, ainsi que le réfugié, en indiquant à quel point on avait raison d’aller jusqu’au bout toute cette logique. Et puis, d’un autre côté, on a senti une forme de relativisme éthique, il n’a pas fait de promesses notamment sur la bioéthique (…) il a laissé entendre que la gestation par autrui était une sorte de borne vers laquelle il ne voulait pas aller, mais pour le reste, en mettant son « s » au mot famille, et même peut-être en titillant un peu l’église pour l’accueil qu’elle fait, légitime, de toutes les personnes, il a laissé entendre qu’il irait dans un sens du relativisme. Donc voilà, je veux bien être séduit, autrement dit j’aime la grâce de la rencontre, mais pas de naïveté tout de même !
Depuis quelques jours la question de la fin de vie est au cœur de l’actualité, notamment avec l’avis du Conseil économique social et environnemental, le CESE, qui a publié aujourd’hui un avis. Il préconise la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Et hier, le CHU de Reims s’est de nouveau prononcé pour un arrêt de traitement de Vincent Lambert ; enfin, bien sûr, la question de la fin de vie a été abordé hier soir aux Bernardins. Lors de son discours, le président a parlé de bioéthique, sans parler précisément de la question de la fin de vie. Est-ce que cela vous a étonné ?
Pas tellement, parce que je pense qu’il a les idées à peu près claires sur ce sujet, d’après ce qu’on a pu comprendre il s’est quand même prononcé dans le dîner de l’Élysée contre la notion de suicide assisté, et pour une vraie prévention du suicide. Donc j’espère que sur ce sujet au moins, il restera ferme face à une sorte de pluie acide continue et médiatique que nous avons à la fois sur des cas particuliers, et puis des instances qui se prononcent (…)
Il y a une sorte de mission temporaire du CESE qui s’est saisie et de pétitions très favorables à l’euthanasie, ils ont étudié et ont produit un avis qui effectivement est favorable. Ils n’ont pas utilisé le mot « euthanasie » ou « suicide assisté », des mots qui, disent-ils, braquent ou bloquent, mais des expressions bizarres et graves, comme « derniers soins, « soins ultimes » ou – ils ont hésité – d’abord « médication expressément létale » puis « sédation explicitement létale » . Ils sont restés sur cette espèce de novlangue qui dissimule, qui déguise finalement le mot « euthanasie ». Finalement si « prendre soin », c’est « donner la mort », on nage en pleine confusion.
Cet avis a été voté par le CESE, mais avec un dissensus, ce qui est exceptionnel : c’est-à-dire un document complémentaire de conseillers du Conseil économique social et environnemental qui se sont prononcés contre l’euthanasie, explicitement. Il y a des gens qui ont voté l’avis, alors qu’ils sont contre l’euthanasie et pour le dissensus. Il y en a d’autres qui se sont abstenus. Et puis ce n’est qu’un conseil. Donc ça rentre simplement, je crois, dans l’espèce de rouleau compresseur régulier qui laisse croire qu’on se libérerait en pouvant provoquer la mort, et en utilisant en plus, ce qui est peut-être assez pernicieux, le vocabulaire des soins palliatifs pour faire entrer en confusion soins palliatifs et euthanasie, et c’est là qu’est finalement le danger pour les mentalités.
Hier soir, le président Emmanuel Macron a demandé aux chrétiens de s’engager. Face à un tel rapport que vous venez de nous décrire, comment faire pour faire entendre sa voix ?
Ce que j’ai noté, c’est que hier aussi Monseigneur Pontier a indiqué qu’il n’était pas légitime d’appeler « soins ultimes » ou « derniers soins » l’euthanasie. S’engager, c’est d’abord s’engager pour que le mouvement des soins palliatifs se développe en France, qu’il y ait de nombreux volontaires dans ce mouvement, beaucoup de personnes qui continuent d’affirmer que soins palliatifs et euthanasie sont incompatibles, parce que le risque est que la mauvaise monnaie -l’euthanasie- chasse la bonne, qui est plus difficile, plus exigeante – le fait de prendre soin, d’être solidaire, de passer du temps avec les personnes.
Une société de l’euthanasie est très vite très violente, elle pousse très vite les plus fragiles vers la sortie, on le voit en Belgique, en Hollande. Donc c’est une question d’engagement. C’est aussi une question de choix politique, et nous nous demandons au président de la république de se prononcer fermement pour le choix qu’a fait la France avec les loi Claeys – Leonetti et Leonetti, qui ne sont pas sans ambiguïtés parfois (que nous avons dénoncées, au titre d’Alliance VITA, parce qu’on a assimilé hydratation et alimentation à des traitements dans un premier temps, et ensuite on a proposé un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès). Heureusement les autorités médicales récemment ont bien encadré cette sédation profonde et continue jusqu’au décès, en indiquant qu’elle ne devait pas être euthanasique, mais justement le CESE vient de se prononcer dans un autre sens ; même s’il n’a pas autorité législative, la confusion est assez grande. Mais en tout cas les lois françaises, normalement, l’excluent, mettant dos-à-dos l’acharnement thérapeutique – les soins disproportionnés, qui sont inutiles-, et puis cette euthanasie, le fait d’administrer la mort. On est sur une ligne de crête, car soigner oui, soulager, mais pas tuer, comme le dit le mouvement dont Alliance VITA est membre, avec comme parrain Philippe Pozzo di Borgo, héros du film Intouchables.
Alors il y a un cas qui cristallise les débats sur la question de la fin de vie, c’est celui de Vincent Lambert. Hier encore, c’est le CHU de Reims qui s’est prononcé pour l’arrêt des traitements de Vincent Lambert. Est-ce qu’on peut dans cette situation précise parler d’euthanasie ?
D’abord, c’est une situation très compliquée, avec une famille qui est divisée : il y a d’un côté une épouse et un neveu, de l’autre côté les parents de Vincent et quelques-uns de ses frères et sœurs. Il est dans une situation dite « pauci- relationnelle », c’est à dire qu’il ne peut pas s’exprimer d’une manière claire, et n’a d’ailleurs pas fait de déclaration préalable, mais il n’a pas de traitement à proprement parle. Il est juste dépendant d’une alimentation, qui a été arrêtée pendant 31 jours il y a cinq ans maintenant, en 2013, il a survécu à ça ; ce qui dénote une vitalité, et c’est ce que dit le professeur Xavier Ducrocq, neurologue qui accompagnent les parents et qui le connaît bien. Quelqu’un qui survit à ça, il y a une force de vie, peut-être une volonté de vivre qui s’exprime. Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, et si on décide d’arrêter son alimentation qui lui est fournie, on provoque sa mort (alors que par moments il avait des possibilités de déglutition, certains médecins ont pu le montrer). Donc à nos yeux, ce serait effectivement euthanasique que de décider d’arrêter une alimentation, alors qu’il n’a aucun traitement spécifique, et en provoquant à coup sûr sa mort. Nous pensons aux milliers de patients en état neurovégétatif (c’est à dire qu’ils ne sont pas dans le coma, mais qu’ils sont dans un état qui semble végétatif) et pauci- relationnel (c’est à dire qu’ils communiquent, mais sans qu’on puisse vraiment comprendre, de manière [minimale]) qui sont dans des établissements spécialisés, des centres EVC-EPR. Ce que demande la famille de Vincent Lambert, c’est qu’on le sorte de l’unité de soins palliatifs qui est inappropriée à son état, et qu’on le mette dans un établissement où il bénéficierait des soins de rééducation dont il est privé, comme enfermé depuis des années maintenant.
Il y a un enjeu de prise en charge adaptée à ce type de patients, parce qu’à partir du moment où un de ces patients n’est plus considéré comme digne de faire partie de notre société, tous les autres, leurs proches, les soignants qui se dévouent sans compter auprès d’eux, se trouvent remis en cause dans leurs fonctions.
Je reprends les formules que j’ai entendues de Mgr Pontier, mais il y a un enjeu majeur : est-ce qu’il fait vraiment partie des nôtres, est-ce qu’il a toute sa place dans la société avec le mystère de cette vie fragile, ou alors est ce qu’on considère que sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue, et alors là c’est l’exclusion assurée pour lui, et peut-être pour beaucoup d’autres.
Un enjeu qui est au cœur des débats des états généraux de la bioéthique… que vous avez suivi de près avec alliance VITA. Qu’est-ce que vous pouvez déjà nous en dire, ils se terminent bientôt, à la fin du mois, qu’est-ce que vous avez pu observer de ces états généraux de la bioéthique ?
Pour le moment on a été auditionnés au plan national par différentes instances d’ailleurs, le CESE, l’Académie de médecine, le Comité consultatif national d’éthique qui organise cela. Il y a à peu près dix mille personnes qui ont participé à des réunions régionales. Ce qui ressort, c’est que la grande majorité des personnes qui ont participé à ces réunions sont favorables au respect des plus fragiles. Ceux qui les ont organisées sont partagés, et certains étaient assez militants, et puis il y a eu quelques groupes, je dirais peut-être groupuscules, qui ont demandé des transgressions. L’équilibre est en faveur du plus fragile. La question est de savoir ce que le Comité d’éthique, dans sa synthèse, puis dans son avis, va retenir de cela : est-ce qu’ils vont retenir cette voix très majoritaire partout, pratiquement, sur les questions de fin de vie, de PMA (que la plupart des intervenants veulent ne pas ouvrir au grand marché de la procréation), sur les questions d’intelligence artificielle – sur lesquelles on veut être protégés… Sur tous ces sujets, est ce qu’ils vont remonter ça aux pouvoirs publics et politiques ? Et puis est-ce qu’ultimement, Emmanuel Macron, puisque c’est le décideur, va prendre des options solides qui maintiendront des digues éthiques contre les effondrements que nous craignons ? Là, la question reste vraiment entière. J’encourage les personnes à continuer à intervenir sur le site des états généraux de la bioéthique ; peut-être à signer aussi la pétition qu’a lancée Alliance VITA sur son site ; enfin de se renseigner auprès de tous les lieux qui forment, pour pouvoir manifester notre soutien des plus fragiles – qui n’est pas intéressé. On n’a rien à défendre, si ce n’est un regard sur l’homme qui met le plus fragile, encore lui, au cœur de la société.