Tribune parue dans Ouest-France, le 12/11/2014.
Par Tugdual Derville, coordinateur de la campagne : Parlons la mort.
La Toussaint et le 2 novembre, nous faisons mémoire de nos chers défunts. C’est une trêve, un temps intime, familial et sacré. La tradition est encore vive dans nos cimetières. Visités une fois par an, ils resplendissent soudain. Mais pourquoi allons-nous fleurir la tombe de parents, frères ou sœurs, enfants ? Pour nous souvenir. Pour les honorer. Par amour.
L’amour, n’est-ce pas l’héritage immatériel le plus précieux que nous ont légué ceux qui sont «partis» ? C’est ce qui ressort de l’enquête « Parlons la mort* ». Nous avions l’intuition qu’il était bienfaisant de partager des peines et des souvenirs trop souvent enfouis dans la pudeur des cœurs. C’est pourquoi nous avons interrogé plusieurs milliers de passants dans les rues des villes de France à propos de la fin de vie et de la mort de leurs proches. L’accueil fait à nos volontaires nous a stupéfaits. Des conversations essentielles se sont engagées, profondes et simples. Comme si l’évocation de la mort provoquait un sentiment de fraternité universelle. Partager entre «mortels», n’est-ce pas se mettre d’emblée sur un pied d’égalité ? La mort parle de la fragilité qui nous est commune. Elle est notre horizon à tous. Pourquoi devrions-nous en faire un de ces secrets de famille qu’on a trop tendance à enfouir sous un tas d’angoisses ? De tels silences nous minent sans que nous en ayons conscience.
« Se laisser consoler »
Nous mourrons tous ! C’est écrit… Un tel constat ne tuera ni l’auteur de ces lignes, ni le lecteur. En réalité, la conscience de la mort, qui revient à chaque deuil, peut nous aider à mieux vivre. En témoignent les confidences recueillies dans la rue. La plupart laissent un sentiment paisible : «La mort de ma sœur m’a appris la valeur de la tendresse» ; «Depuis la mort de mon père, je vais à l’essentiel» ; «Je suis plus attentif à la fragilité de la vie», «Après la mort brutale de mon ami, je sais qu’il faut oser se dire qu’on s’aime». Nous avons photographié ainsi plus de 1000 messages sur la mort avec leurs auteurs*. Tous sont des messages de vie. Bien sûr, certaines personnes sont traumatisées ou révoltées par la brutalité d’un deuil, ou quand une fin de vie a été mal accompagnée. Raison de plus pour se libérer du poids.
Pour parler de nos morts, nous avons tous besoin d’une oreille attentive. C’est précieux pour se laisser consoler quand notre peine est restée secrète. C’est aussi un moyen de réaliser combien nous vivons de ce que nous ont transmis nos «chers disparus» : des forces, un exemple, sa confiance, des valeurs, la foi peut-être ? A chacun de voir.
Parler du défunt, c’était le sens de ces longues veillées funèbres d’autrefois : on partageait dans la chambre du mort sa douleur, ses larmes, des sourires et même des rires. On se souvenait des belles choses vécues ensemble. On touchait le corps du défunt. On lui parlait. Et cela faisait du bien. Ensuite, on portait le deuil, le temps qu’il fallait. Au sud de la planète, les rites de deuil sont encore «vivants», et même festifs. Mais ils ont presque disparu en Occident. Les corbillards sont banalisés et passent inaperçus. Nous avons évacué la mort. Notre société aseptisée s’en trouve-t-elle pacifiée ?
Inutile de rêver croiser à nouveau de longs cortèges noirs couverts de fleurs ! Osons simplement libérer la parole : nous pouvons puiser ensemble dans nos deuils de quoi donner plus de sens à nos vies.
1) www.parlonslamort.fr Facebook : parlonslamort