Tugdual Derville présente pour La Croix l’enquête d’Alliance Vita « Parlons la mort ! », recueil de témoignages d’accompagnement de proches en fin de vie.
Article paru dans « Opinion », journal La Croix, le 29/10/2014.
Dans nos sociétés connectées, la mort est paradoxale : omniprésente mais lointaine. Elle s’impose sur des écrans. On s’entre-tue sous nos yeux aux informations télévisées ou sur Internet. Et nous voilà spectateurs passifs de morts médiatisées qui ne concernent pas notre quotidien : personnalités, ou anonymes à la fin spectaculaire. Ces morts nous laissent hébétés : c’est-à-dire anesthésiés et apeurés. La mort aurait-elle acquis le statut d’une affreuse extraterrestre ? Des trépas militants font même irruption dans nos vies, par audio-visuel interposé, avec leurs messages revendicatifs post mortem. Mettre en scène la mort comme s’il fallait « réussir sa sortie » par un dernier pied de nez ? Tout cela nous éloigne du réel.
Car pendant ce temps-là, nous mourons en France, de façon pudique et intime, de moins en moins à domicile (28 % des 572 000 décès annuels), de plus en plus en maison de retraite (12 %) ou à l’hôpital (60 %). Souvent en toute discrétion. Seuls ou accompagnés par les soignants et quelques proches qui gèrent au mieux leur surmenage. Nous ne mourons toutefois pas aussi mal que certains le prétendent, car la culture palliative commence à porter ses fruits : soins antidouleur et d’accompagnement, attention aux proches, dialogue soignants-soignés… Il se passe heureusement des choses essentielles et précieuses au chevet de ceux qui vont mourir. Mais de cela, qui parlera ? La mort a perdu de sa familiarité.
D’ailleurs, où vont nos corps après expiration ? Furtivement évacués des hôpitaux par la petite porte. On y meurt à tour de bras, mais pratiquement personne n’y croisera un cadavre. Le mot est tabou. Nos dépouilles mortelles, pressées par les contraintes d’organisation, laissent peu d’espace au deuil. C’est le constat souligné par Christian de Cacqueray, directeur de la fédération des services catholiques des funérailles : dans des chambres mortuaires aseptisées, à l’écart, les veillées funèbres sont réduites à la portion congrue ; on ne prend plus le temps… Même les corps semblent pressés de disparaître : ils redeviennent souvent poussière en quelques minutes dans une chambre de crémation. Serait-ce révélateur de notre peur d’envisager la mort en vérité ?
Tout se passe comme si rien ne devait nous rappeler que nous sommes mortels. Adieu donc les sorties en grande pompe. Comme la plupart des rites funéraires, le noir qui signalait la mort a disparu des carrosseries de corbillards désormais banalisés. Cet escamotage généralisé se traduit par le lourd silence : la parole s’est tue. C’est à peine si l’on ose présenter ses condoléances par crainte de provoquer des larmes, de faire intrusion dans l’intime. Pourtant, ces rites de deuil qui facilitaient l’expression collective de la peine et des souvenirs avaient justement une grande valeur sociale : celle de libérer la parole sur la mort.
Une telle parole fait vivre. Nous l’avons mesuré, avec Alliance Vita, en conduisant auprès des Français une grande enquête intitulée « Parlons la mort ». La démarche est audacieuse : il s’est agi d’aborder les passants et de leur proposer d’engager une conversation sur la fin de vie et la mort de leurs proches – un échange fondé sur notre écoute bienveillante – puis d’écrire un message. Plus de mille photographies ont ainsi été collectées (1). Les mots clés qui ressortent de ces messages montrent qu’il ne faut pas avoir peur d’engager la conversation sur la mort : paix, fragilité, intensité, main, larmes, présence, merci, rencontre, unité, transmission, amour et vie. Les visages ne trompent pas : parler de la mort apaise. C’est une façon de prendre conscience que nous vivons largement de ce que nous ont transmis les êtres qui nous ont aimés.
Au travers de la mort de proches, nos vies s’ajustent souvent à l’essentiel. Jusqu’à trouver un sens plus authentique, centré sur la relation et la tendresse. La mort étant notre destin commun, elle fait prendre conscience de la fraternité universelle qui relie les humains. Elle donne envie d’aimer. Parlons-en !
Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita
1) Expo sur www.parlonslamort.fr Facebook : parlonslamort