Les députés ont commencé à débattre sur la fin de vie mercredi 21 janvier.
L’initiative lancée par François Hollande il y a deux ans semble pourtant davantage répondre d’une position dogmatique que d’un besoin réel.
Article paru sur Atlanticole 23/01/2015.
1/ Ce n’est pas prioritaire pour les Français
Ni pour les députés ! Le « grand débat » solennellement annoncé a commencé avec moins d’une centaine d’entre eux dont la plupart se sont vite éclipsés. Ils n’étaient que vingt à rester jusqu’à son terme, malgré la richesse des interventions. Le Premier ministre lui-même n’a assisté qu’à la première partie.
En ces temps de crise économique, sécuritaire et identitaire, les Français plébiscitent des thèmes plus urgents (emploi, logement, santé, sécurité…). Et cette question cruciale de la fin de vie réclame par ailleurs d’autres réponses prioritaires. Les études sociologiques sérieuses (par exemple celle de l’espace éthique de Picardie) montrent que, quand les Français réfléchissent à la fin de vie, pour eux-mêmes, pour leurs proches ou en se mettant dans la posture du soignant, les défis à relever sont essentiellement : la lutte contre la solitude, le traitement ajusté de la douleur, l’accompagnement et le soutien aux aidants.
Pourquoi devrions-nous la laisser sans cesse parasiter par le sujet artificiel et à hauts risques de l’euthanasie ? La priorité est à une aide, non pas à mourir, mais à vivre. Tant que l’accès aux soins palliatifs n’est pas garanti pour tous ceux qui en ont besoin dans toute la France, conformément à la loi, le débat sur la fin de vie est biaisé. Ce n’est donc pas le moment d’insécuriser notre système de santé, ni de générer des angoisses inutiles, ni de fragiliser la confiance entre soignants et soignés, qui est fondée sur l’interdit de tuer. La seule priorité consensuelle qui ressort des débats, c’est la généralisation des soins palliatifs.
2/ Ce débat génère un flou dangereux
Le libellé de la promesse 21 du candidat Hollande – où le mot euthanasie brillait déjà par son absence – est conçu pour permettre toutes les interprétations. Sur un sujet déjà sensible et complexe, les concepts ajoutés de « maintien artificiel de la vie » ou « sédation profonde et continue jusqu’au décès » se révèlent en pratique particulièrement ambigus. Les exposés des parlementaires sur ces formules le confirment. Le professeur Bernard Debré a tenté de le montrer. Mélanger des sédations légitimes (exceptionnelles, en principe réversibles et qui n’ont pas comme intention de provoquer la mort) aux sédations euthanasiques, qui ont comme objet de provoquer la mort par l’arrêt simultané d’alimentation et d’hydratation, aggrave ce flou. L’idée qu’il faudrait garantir aux personnes de « mourir en dormant » peut séduire, dans une société où l’idée de l‘agonie est devenue insupportable. Mais la sédation proposée conduirait inévitablement à endormir pour faire mourir, grâce à l’arrêt simultané d’hydratation. La ligne rouge serait ainsi franchie, l’air de rien. Cette « euthanasie masquée » est d’autant plus dangereuse qu’on joue sur les mots. L’objection de conscience pour les soignants n’est d’ailleurs pas envisagée puisque l’euthanasie est niée… Même l’Ordre national de médecins rentre dans ce jeu, contredisant en passant l’Académie de médecine… Dans une salade empoisonnée, ce qui est bon est utilisé comme appât pour faire avaler ce qui est mortel. Cette façon d’éviter « les mots qui fâchent », selon l’intention de Manuel Valls, est particulièrement insidieuse en démocratie quand elle aboutit à noyer des convictions dans des interprétations incertaines. Le gouvernement tente-t-il de piéger les opposants à l’euthanasie, comme s’ils devaient se satisfaire de défendre une ligne Maginot pour empêcher les mots euthanasie et suicide assisté de passer, en laissant les maux qu’ils définissent envahir la société par contournement, en se déguisant ?
3/ Le piège du consensus parlementaire
Juste après sa nomination comme Premier ministre, Manuel Valls avait promis – c’était au cours d’une visite au Vatican – que le débat fin de vie déboucherait sur une loi consensuelle au Parlement, promesse reprise fin 2014 par François Hollande. Caution de cette promesse : le député Jean Leonetti lui-même, chargé de trouver un terrain d’entente avec Alain Claeys. Mais plusieurs parlementaires experts sur ces sujets ne se sont pas laissés abuser. Parmi eux, le docteur Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, avait déjà dénoncé la sédation terminale : « un pied mis vers l’euthanasie ».
Vingt-trois autres parlementaires, issus des deux bords de l’échiquier politique, du président du groupe UMP du Sénat, Bruno Retailleau, au député de la Martinique Bruno Nestor Azerot (Gauche démocrate et républicaine), ont publié un texte d’alerte considérant que le texte proposé « s’aventure sur la pente glissante d’un droit à la mort ». A la tribune de l’Hémicycle, plusieurs d’entre eux ont exprimé avec force leurs réticences ou leur opposition au projet : les UMP François de Mazières, Jean-Frédéric Poisson, Hervé Mariton, Xavier Breton, Philippe Gosselin, auxquels il faut ajouter Marion Maréchal-Le Pen. Malgré le silence et l’absence notable de Laurent Wauquiez ou de Valérie Pécresse, on est loin du consensus… Pourtant, les commentateurs situent déjà le débat à mi-pente, comme si le texte Claeys-Leonetti était déjà la base de discussion minimale. Pour preuve, les deux dernières oratrices, la présidente de la commission des Affaires sociales, Catherine Lemorton et Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales, ont pris soin de souligner qu’il ne fallait pas « sacraliser » l’idée du consensus. Le Vatican est loin !
En réalité la question de la fin de vie nécessite la mise en œuvre stricte de la loi fin de vie actuelle : elle devrait être protégée, comme l’a souligné Jean-Frédéric Poisson, de son interprétation détournée par ceux qui prétendent qu’alimentation et hydratation peuvent être stoppées pour faire mourir. Faire connaître et appliquer cette loi nécessite encore beaucoup de travail.
4/ Une lourde faute politique pour l’UMP
Alors que des mesures d’ordre réglementaire – et non législatif – permettraient d’ajuster certains éléments, le gouvernement veut marquer son empreinte par une nouvelle loi sociétale à forte portée symbolique, en prenant le risque de déséquilibrer un édifice précieux et fragile.
Sur le plan politique, on ne voit pas bien l’intérêt pour le parti d’opposition d’entériner les yeux fermés ce pseudo consensus élaboré sur ces bases floues, alors qu’ il sait bien que ce projet, de l’aveu même du Premier ministre, n’est qu’un premier « palier », une « étape ». Et tout cela dans un contexte où de nombreux députés de la majorité présidentielle, à commencer par Claude Bartolone, l’actuel président de l’Assemblée nationale, n’ont pas caché leur intention d’aller encore plus loin que le projet Claeys-Leonetti, avec l’appui de leurs alliés les plus transgressifs. Quand on sait que le maintien des radicaux de gauche dans la coalition gouvernementale a été presque ouvertement négociée en contrepartie d’une nouvelle loi fin de vie, et qu’Europe Ecologie Les Verts en font leur cheval de bataille, on est en droit de s’interroger sur l’intention affichée d’une loi dépassant les clivages partisans.
Si le texte finalement voté reste conforme à l’accord Claeys-Leonetti, l’UMP se sera laissée piéger dans une « unité » forcée : et ce texte hautement symbolique sera taxé, par certains, du sigle « UMPS », politiquement désastreux pour le parti d’opposition… Si le gouvernement laisse sa majorité surenchérir, Jean Leonetti aura été l’instrument d’un piège, même s’il descend de ce train. Dans tous les cas, il est temps que les ténors de l’UMP réagissent.
5/ La logique pernicieuse de la sédation pour faire mourir.
Déjà, les promoteurs de l’euthanasie et du suicide assisté ont dénoncé dans ce projet une disposition « hypocrite » : à leurs yeux ce « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès plaiderait pour l’injection immédiatement létale ! La façon dont le projet est libellé est dangereuse, puisque ce prétendu droit à la sédation concernerait non seulement des personnes en phase terminale, mais aussi des personnes ayant des maladies incurables et cessant leurs traitements, ou d’autres vivant dans des situations neurovégétatives ou pauci-relationnelles stabilisées.
D’ailleurs les grandes associations de proches de traumatisés crâniens ont déjà protesté. Étiqueter une personne « fin de vie » ne peut être utile que si c’est pour lui faire bénéficier de soins palliatifs appropriés. Mais quand cela ouvre droit à une forme d’euthanasie déguisée, cet étiquetage devient pernicieux et risqué.
A partir du moment où la sédation assortie d’arrêt d’hydratation est possible, la pression culturelle s’exercera pour l’exclusion de ces patients. Car, en matière d’euthanasie, l’offre crée la demande. C’est en proposant ce type de protocole qu’on fait sentir aux personnes très âgées, malades ou dépendantes, qu’elles sont de trop, qu’elles ont fait leur temps, qu’elles sont coûteuses, qu’il est devenu inutile d’entrer en relation avec elles, qu’elles ont perdu leur dignité humaine… Et tout le corps social se trouve fragilisé quand les plus faibles de ses membres ne sont plus considérés comme des vivants.
Garantir aux personnes les plus malades, les plus dépendantes, les plus âgées, qu’elles gardent toutes leur place au cœur de la société est une urgence sociale. Voilà pourquoi Soulager mais pas tuer demande au gouvernement de s’en tenir à la loi fin de vie votée consensuellement en 2005. Et appelle les Français (soignants, soignés, personnes concernées par le handicap, le grand âge et la maladie) à le faire savoir dans toute la France. Ne basculons pas sur la pente glissante de l’euthanasie !