D’étranges messages accostent de plus en plus souvent sur ma Twitter Line. Dans ces « bouteilles à la toile », une photographie d’invertébré et l’appel d’un ami follower en quête d’identification rapide…
Impossible de résister à ces mystérieuses demandes car elles me replongent dans ma passion d’enfance pour l’entomologie.
Néanmoins, si j’ai la fierté d’identifier l’insecte, il est difficile de répondre en moins de 140 caractères : le nom vulgaire est incertain; souvent haut en couleurs, il varie selon les régions, comme celui de certains poissons (le pêcheur de bar traquant le loup en Méditerranée comprendra). Il faut donc aussi deux ou trois mots latins, pour donner sa fiabilité scientifique à l’identification. Mais surtout, le tout mérite d’être assaisonné de quelques petites précisions ou commentaires perso… Et d’un lien.
Bref, tout cela explose dans l’enceinte du micro tweet. Sauf à servir un indigeste pâté d’abréviations.
Je n’encombrerai pas les sites d’Alliance VITA, de la Manif pour tous ou de l’Ecologie humaine par des élucubrations entomologiques.
Et pourtant ! En m’adressant fin août, via Twitter, le portrait (voir ci-contre) d’une étonnante créature verte et rose, à six pattes et longues antennes, rencontrée sur leur lieu de villégiature (avant qu’un chien ne pense à croquer la bête), des amis n’ont pas seulement ranimé un souvenir précis : ils ont relancé une jolie petite controverse autour du Gender.
Venons-en au monstre : je reconnais illico la Magicienne dentelée, grande sauterelle filiforme dont j’ai découvert un spécimen dans une prairie près de l’abbaye du Thoronet, il y a bien longtemps. Il parait qu’on la nomme également Langouste de Provence. C’est une énigme. Non seulement l’espèce est aptère (privée d’ailes) ce qui limite considérablement l’habitat de chaque individu, mais elle est aussi carnivore, plus proche de la mante religieuse par son régime que des autres sauterelles, habituellement herbivores. Ses pattes antérieures, pourvues d’épines (« dentelées »), sont ravisseuses comme celle de la mante ; elle les fait lentement bouger quand elle se sent en danger, comme un jeteur de sort (d’où « magicienne »). La belle dispose d’un appendice buccal puissant, une sorte de pince capable d’écraser ses proies, d’où langouste. Nocturne, elle se confond le jour avec la végétation, à la manière d’un phasme. Le spécimen photographié dispose (en tant que sauterelle femelle), d’un appendice effilé qui ressemble à un dard impressionnant, en forme de sabre. C’est une tarière (également appelé ovipositeur) servant à pondre dans la terre. Mais là n’est pas le plus stupéfiant… Accrochez-vous, amis de la complémentarité des sexes ! Figurez-vous qu’on n’a jamais trouvé aucun mâle dans la sous-espèce méditerranéenne de Saga Pedo (c’est son nom scientifique). A l’exception, peut-être, d’un seul individu qu’on aurait aperçu dans le Valais suisse… Et ça n’est même pas certain.
Mais alors comment une bête quasi rampante – donc interdite de migration – peut-elle perdurer dans son aire de répartition européenne et se reproduire toute seule alors que partout ailleurs, les mâles de la même espèce pullulent et stridulent avant de s’accoupler aux femelles ? La réponse tient en un mot : parthénogénèse. Il fait rêver. Ces magiciennes sont des clones ! Une longue lignée de mères en filles fidèlement copiées les unes sur les autres. C’est ce qui semble expliquer au passage que la sous-espèce ne se soit aucunement différentiée depuis des millions d’années alors qu’elle occupe des habitats désormais séparés. A quoi bon sélectionner entre des spécimens identiques ?
Qu’une femelle sans mâle sache pondre seule, comme pond une poule sans coq, passe encore, mais que les œufs de la magicienne, qu’elle enterre soigneusement un par un, éclosent ! Parfois cinq ans après la ponte… Quel mystère ! Et quelle aubaine pour les théoriciens du genre ! Vous savez qu’ils n’en finissent pas de traquer les bizarreries reproductives de la nature avec une obsession : casser la procréation sexuée qui condamne l’Homo sapiens à passer par le sexe complémentaire pour engendrer.
Tiens, je découvre sur Rue 89 un article du 7 août 2013 titré : « Chez les animaux, un enfant, c’est pas toujours un papa, une maman », où notre magicienne a la part belle. Légende : « Elle a fait un bébé toute seule » (http://www.rue89.com/2013/08/07/papa-maman-meme-chez-les-animaux-244787). Pourquoi pas « mère célibataire » pendant qu’on y est ?
Nous y sommes : les féministes radicales, qui condamneraient à la casserole mon coq si elles prenaient le temps d’observer le traitement avilissant qu’il inflige à mes huit poules, matin midi et soir, en sont venues à envier la condition d’une sauterelle de la nuit. Notons au passage que, là où le mâle existe, notre Magicienne dentelée le dévore volontiers au terme de l’accouplement…De tout cela, je m’émerveille, tout en récusant fermement « l’anthropomorphisme inversé ». C’est la tendance à prendre exemple sur les mœurs animales pour légitimer ou provoquer les mutations des sociétés humaines. Dire qu’il faut si souvent expliquer aux interlocuteurs que fascine la diversité des modes de reproduction de la faune que l’homme n’est pas un mammifère – ni un poisson, un oiseau ou un crabe – comme les autres !
Que La Fontaine déguise les bêtes en personnes pour décrire l’humanité : génial. Mais prendre exemple sur les animaux pour déconstruire l’homme ? Pur abêtissement.