Chaque matin, je dois trouver deux chaussettes jumelles. Parfois, c’est un casse-tête. Mais hier, j’ai assumé la différence de couleur entre mes pieds.
Le 21 mars dernier, c’était la journée mondiale de la trisomie 21. Ses promoteurs avaient donné comme consigne de ne pas apparier ses chaussettes histoire de rendre hommage à ceux qui savent si bien bousculer les convenances, pour fleurir la vie. Attention, il n’est surtout pas question de nier ici le poids que les personnes porteuses de trisomie 21 ont à porter.
Il y a le regard des autres qui, dans le meilleur des cas, « identifie » et, dans le pire, « rejette ». Mais il y a aussi ce que la trisomie 21 en elle-même fait peser sur ceux qui en sont atteints. Je pense à mon amie Isabelle rencontrée lors d’un tour de France organisé par l’Office chrétien des personnes handicapées. Nous allions d’école en école pour témoigner. Comme Isabelle se trouvait timide, je l’interrogerais devant les lycéens. Elle était capable de leur confier avec une belle simplicité : « La trisomie, je la connais. Parce que je l’ai ! ».
Elle évoquait aussitôt son rêve brisé : devenir pianiste. Hélas, ses mains, expliquait-elle en montrant son pouce décalé, n’étaient pas assez agiles. Mais ce qui lui coûtait le plus, c’était bien le regard des autres. Elle racontait : « Dans la rue, je vois des gens qui se disent : « Elle a la trisomie : elle est moche ! » Alors je pleure. Mais mes amis me disent : « Mais non, Isabelle, nous on t’aime ! » » Profondément touchés par son témoignage, de nombreux adolescents lui disaient ensuite leur admiration parce qu’ils n’auraient jamais eu le courage de témoigner comme elle. Mais un jour, du fond de la classe, un professeur de SVT a lancé : « Tout de même, avec le dépistage prénatal, on a les moyens d’éviter la trisomie, non ? » Isabelle a piqué du nez… Au débriefing du soir, elle m’a dit : « La dame, j’ai senti que je ne devais pas lui répondre ! »
Nous avons fêté les 50 ans d’Isabelle, qui vivait à l’Arche, puis elle est partie au Ciel. Aujourd’hui, je pense à elle, car une révolution joyeuse se profile. Jusqu’à ce soir se tient à Paris, à la Mairie du Ve, place du Panthéon, le Grand Shooting de la trisomie 21, à l’initiative de l’association Tombée du Nid. Alors que notre société vient encore d’intensifier la traque anténatale de la trisomie, on ose enfin exposer au public la beauté de ces visages. Photos splendides, reflets de cœurs fragiles, mais aussi de cœurs surdoués quand il s’agit d’aimer. Un mur de Berlin est en train de tomber.