Victimisation générale !
J’ai découvert que, moi aussi, je suis une victime. C’est un compagnon d’infortune, Olivier Babeau, qui me l’a fait comprendre sur twitter.
Nous sommes tous deux gauchers, subissant des millénaires d’oppression par la majorité droitière. Notre langue nous insulte, en nous traitant de gauche ou de sinistre… Au service militaire, ma fiche médicale notait : latéralisation défectueuse. En réalité, c’est le dextriarcat qui nous force à la maladresse. Le monde est fait pour les droitiers, les dominants. Déjà, au Moyen Âge, les escaliers-à-vis nous discriminaient en tournant dans le sens qui privilégie le droitier à la défense. Le gaucher était forcé d’exposer son corps pour manier son arme. Exclu ou tué ! Je m’en suis vengé dans l’enfance, en pratiquant l’escrime où le gaucher désarçonne ses adversaires, par sa rareté.
Et que dire de l’écriture ? Dès la maternelle, on voulut m’imposer la droiture en me fourrant un crayon dans l’autre main que celle qui tenait ma cuiller… Comme je me mis à bégayer, on m’a laissé tenir mon crayon à ma façon. Mais une écriture qui va de gauche à droite nous est cruelle : le gaucher doit tordre son poignet ou couvrir ce qu’il vient d’écrire ! Pire, j’ai appris que, pour un gaucher, l’avenir étant à gauche, tirer sa plume vers la droite constitue une maltraitance psychologique : c’est comme si on lui interdisait de se projeter…
Chaque jour, je subis le système dextéro-normé.
Dans le métro, le gaucher doit insérer son ticket, tenu de la main gauche, dans la fente qu’on lui impose à droite ! De même, les ciseaux qu’on prétend ergonomiques torturent nos mains gauches.
Alors, avec mes frères gauchers, je revendique :
– Le statut de victime, avec les droits, allocations et indemnisations afférents ;
– L’édification d’un monument au gaucher inconnu, avec reconnaissance par l’État du crime de gauchophobie ;
– Le remplacement par l’Académie française des mots gauche et sinistre par d’autres n’insultant plus un mode de vie que nous n’avons aucunement choisi ;
– Une loi imposant l’ambidextriation générale de tout objet, machine ou dispositif qui privilégie les droitiers, en commençant par la mise en place, dans toutes les stations de métro, de files et de fentes pour gauchers ;
– Enfin, un quota de gauchers sur les listes électorales.
Sinon, pour éliminer l’injustice, j’entends que la procréation artificielle fasse naître, grâce au tri génétique, autant de gauchers que de droitiers, selon la plus stricte parité.
Vous l’avez compris, fier d’être gaucher, j’adopte l’état de victimisation générale.