Vincent, vivant ! (26 avril 2019)

Je vais évoquer une personne qui ne semble presque rien aux yeux du monde, en raison de sa totale dépendance, mais se retrouve au cœur d’un terrible imbroglio, d’abord familial, ensuite juridique. Il s’agit de Vincent Lambert. De multiples rebondissements judiciaires viennent de conduire le Conseil d’État à valider la quatrième décision d’arrêter d’alimenter et d’hydrater Vincent, pour qu’il meure, en réponse à la demande de son épouse, et malgré les protestations de ses parents. Je ne vais pas détailler ces rebondissements. Je voudrais juste souligner quelques faits.

Accidenté en 2008, Vincent est dans une situation qui oscille, selon les avis médicaux, entre un état dit « neurovégétatif » et un état dit « pauci-relationnel ». Dans l’état neurovégétatif, malgré des phases d’éveil et de sommeil, il n’y a pas de signe de communication du patient. Dans l’état pauci-relationnel, on en discerne, sans pouvoir les interpréter.

En France, des unités spécialisés sont dédiés à ces patients dits « EVC, EPR ». Pourtant, Vincent reste enfermé dans un service de soins palliatifs, destinés aux patients en fin de vie. Sans sortie, ni kinésithérapie malgré la demande de ses parents. Son frère l’a encore rappelé hier, Vincent n’est ni en fin de vie, ni malade, ni bardé de tuyaux. Il n’a pas besoin de médicaments. Il respire spontanément. On lui assure un toit, un lit, des soins d’hygiène. Il est nourri et hydraté. Une sonde l’alimente directement dans l’estomac pour qu’il ne meure pas de dénutrition. Si la pose d’une telle sonde est un acte chirurgical qu’on peut discuter, son alimentation ne devrait plus être considérée comme un traitement, mais comme un soin, toujours dû.

Il faut savoir que le cas de Vincent n’est pas isolé : quelque 2000 autres patients EVC EPR vivent aujourd’hui en France. J’ai visité une unité spécialisée près de Paris. Leurs soignants très dévoués m’ont dit à la fois la difficulté de leur tâche et leur attachement viscéral à ces patients, à leurs familles et à leur travail, du fait, justement, de la lourdeur de la dépendance et de la durée des séjours… Le destin de Vincent les inquiète, et inquiète les familles. On les comprend. Je pense aussi à Jean-Pierre Adams, ancien footballeur international, qui vit chez lui depuis un accident d’anesthésie de 1982, soigné par sa femme.

Personne n’aimerait se retrouver dans une telle dépendance. Mais ce que vivent tous ces patients reste un mystère. Et je pense que la place que fait notre société aux plus fragiles de ses membres marque son degré d’humanité.

 

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