Après la mobilisation massive du 13 janvier, les opposants au mariage pour tous se rassemblent ce dimanche sur un axe allant de l’arche de la Défense à la place de l’Etoile.
Atlantico : Le sondage Ifop pour Alliance Vita montre que lorsqu’on interroge les Français à la fois sur le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, ils sont seulement 37% à être favorables au projet de loi Taubira. Ce niveau est largement inférieur à celui obtenu lorsque la question ne parle que du mariage pour tous. Avez-vous l’impression que les Français ont été dupés sur les enjeux du débat ?
Tugdual Derville : Notre expérience montre que dans une société de la communication, ce sont trop souvent des formules réductrices qu’on érige en points de repères. Ici, c’est l’expression « mariage pour tous » qu’on a assenée. Elle continue jusqu’à aujourd’hui de manipuler les Français. Déjà, cette formule est inappropriée dans la mesure où ce projet ne permet aucunement à tout le monde de se marier avec qui il veut. Beaucoup de personnes, sans être concernées par l’homosexualité, sont dans l’impossibilité de se marier.
Mais surtout, peu de personnes ont compris que l’adoption est déjà intégrée dans la loi votée en première lecture à l’Assemblée nationale. Nous le vérifions dans nos actions de terrain : le Français de la rue n’a souvent retenu que l’expression « mariage pour tous ». Quand on discute avec lui, il dit que le mariage a été voté, mais pas l’adoption. Si on lui explique que l’adoption plénière est rendue automatiquement possible par la loi sur le mariage, il est stupéfait, voire choqué.
Nous portons donc un regard critique sur les sondages qui, contrairement aux nôtres, n’ont pas montré la réalité de la loi et s’en sont tenus à un slogan réducteur.
Entre vos deux baromètres, l’opposition au projet de loi Taubira a progressé. Les Français semblent donc avoir entendu vos arguments. Pourtant, la loi devrait être adoptée et la préfecture de police table sur une mobilisation moindre aujourd’hui, par rapport à celle du 13 janvier. Est-ce le baroud d’honneur de la Manif pour tous ?
Le processus législatif engagé n’est pas terminé, d’autant plus que le gouvernement n’a pas caché son intention de nous vendre un immeuble complet en commençant par un appartement. Beaucoup de Français, en entendant que la loi avait été votée en première lecture, ont pu se dire : « c’est déjà fait ». Et pourtant, le texte est encore susceptible d’être amendé, modifié, envoyé éventuellement en deuxième lecture.
Le mouvement de résistance à cette loi Taubira est à la fois classique et historique. Classique, car il ressemble à tous les mouvements sociaux : il part de la base, il a un côté anarchique et diversifié avec une grande vitalité associative. Historique pour une question de nombre, de qualité de ton et de diversité croissante des personnes mobilisées.
Même si la loi était adoptée, sa mise en œuvre n’est pas si simple ; nous le constatons avec les remarques de juristes, certains s’interrogeant sur sa constitutionnalité… Nous assistons selon moi à la naissance d’un grand mouvement d’écologie humaine. Son déclencheur est la résistance à la loi Taubira.
Les manifestants se sentent de plus en plus piétinés par le pouvoir en place, tout particulièrement depuis que notre pétition historique a été rejetée par le Cese. Ce fut comme un sabordage par ce Conseil de la démocratie participative. Révélation qu’il y a quelque chose de sclérosé dans nos institutions, qui prétendent ouvrir le débat à la demande des citoyens. La dynamique impulsée par les organisateurs de notre mobilisation ouvre des perspectives d’action radicalement nouvelles.
Quelle forme pourrait revêtir la suite du mouvement ?
Avec Gilles Heriard Dubreuil et Pierre-Yves Gomez, nous avons annoncé dans La Croix la naissance d’un grand courant d’écologie humaine. Nous pensons qu’en complément du mouvement social, qui ne doit pas s’essouffler, il pourra fonder en grande profondeur notre réponse globale au courant de pensée incarné par la loi Taubira, qui relève de la toute-puissance.
Ce projet de loi provoque des questions majeures, au-delà du seul « mariage pour tous » : quelle est l’essence de l’homme ? Que signifie l’altérité sexuelle, mais aussi l’identité de chacun ? Autrement-dit, quels repères anthropologique allons-nous laisser aux générations futures ? Il est devenu nécessaire et urgent de reconnaitre patrimoine de ce qu’est l’humanité comme un bien précieux, pour le protéger et le transmettre.
Avez-vous eu l’impression d’être un peu abandonné en rase campagne sur ce combat, notamment par l’UMP ou les médias ?
Je note d’abord que le jeu médiatique est fondé sur la nouveauté, et à ce titre la Manif pour tous a été particulièrement créative. Mais on ne peut pas tous les jours sortir un nouveau sondage ou lancer une mobilisation nationale. Cette mobilisation a été en quelque sorte visionnaire, car elle n’était pas facile : son objet peut paraitre loin du quotidien.
La résistance légitime au projet de loi Taubira passe par un bras de fer cristallisant l’opposition droite-gauche : des partis de l’opposition appellent à manifester et seront là aujourd’hui, comme ils l’ont été le 13 janvier. Cependant des élus de la majorité actuelle seront là aussi. Mais le sujet qui émerge est métapolitique. L’enjeu, c’est de prendre soin « de tout l’homme et de tout homme ».
A partir du moment où l’on instaurerait un mariage de même sexe, on dira de certains enfants adoptés qu’ils sont nés de Pierre et de Paul (c’est bien ainsi que ce sera indiqué sur le livret de famille) puis serait engrangé un dispositif de fabrication artificielle d’enfants ; un système où l’être humain, au lieu d’être égal en droits avec ceux qui l’ont conçu, sera un produit acheté, livré et vérifié. Ce serait un basculement global de civilisation, qui nécessite une réponse globale, un autre projet de société.