LE FIGARO PORTRAIT – Dimanche, «ce sera la preuve que notre force est devenue puissance durable», assure le porte-parole du collectif la Manif pour tous.
Surtout «ne pas s’arrêter aux apparences». Lui qui a été, un peu vite, étiqueté «raté» et «paresseux» à l’adolescence, en a fait sa philosophie: essayer «d’avoir un autre regard» sur son prochain, de «chercher ses talents». Et comme «le fait d’avoir souffert rend plus sensible à la souffrance des autres», les plus fragiles, Tugdual Derville leur a consacré toute sa vie. Aujourd’hui porte-parole du collectif la Manif pour tous, il appelle à la «ténacité paisible» sur le projet de loi Taubira: dimanche, «ce sera la preuve que notre force est devenue puissance durable»…
En tout cas, pour lui, ce sera peut-être un tremplin: Tugdual Derville s’apprête à lancer «un courant d’écologie humaine». «Ce qui s’exprime dans ce mouvement dépasse l’opposition à une loi, se justifie-t-il. Il s’agit d’une revendication plus profonde. Elle concerne le sort de l’être humain dans la société contemporaine.»
Une quinzaine d’écoles, deux premières, deux terminales, puis un bac obtenu de justesse à 19 ans et demi… le jeune Tugdual démarre mal dans la vie. Mais il se ressaisit. Ses difficultés, que l’on identifiera plus tard comme de la dyslexie, il les oublie et prépare Sciences Po à sa manière, «en chantant et en dessinant»… Enfin un succès! L’été de ses vingt ans a lieu la rencontre décisive: lors d’un camp de vacances pour enfants handicapés, il croise le regard de Cédric, un petit garçon qui ne s’exprime qu’en clignant des paupières. «Cette rencontre m’a rempli d’émerveillement devant son humanité, se souvient-il, encore ému. J’ai aussi expérimenté mes limites dans mes capacités à accueillir cette différence… En une semaine, j’ai senti que ma vie basculait.»
En 1986, à seulement 24 ans, il fonde À Bras ouverts, un mouvement qui accueille des jeunes handicapés. «Parfois un rejet viscéral montait en moi, confesse-t-il. Cela m’est très précieux aujourd’hui dans mon travail pour la dignité de la personne.» Il rejoint ensuite les Petits Frères des pauvres, puis, comme consultant, un cabinet de conseil aux institutions médicales et sociales.
Depuis 1994, il est délégué général d’Alliance Vita. Une association, fondée au moment des premières lois bioéthiques, dont l’objectif est de sensibiliser à la protection de la vie et au respect de la dignité humaine. «J’y ai développé deux services d’écoute, raconte ce père de six enfants. SOS bébé et SOS fin de vie.»
Aujourd’hui, fort de son «échec d’adolescent, l’une de ses valeurs les plus précieuses», le quinquagénaire sait que «des vies peuvent se jouer à très peu». «Si notre association a pris part à la Manif pour tous, explique-t-il, c’est que les conditions d’émergence de la vie sont au cœur du débat.» Derrière les banderoles roses et bleues, Tugdual Derville a fait «de magnifiques rencontres». «Je vois des similitudes entre ce mouvement et la naissance de l’écologie politique, il y a quelques décennies, s’enthousiasme-t-il. Au départ, ce fut la rencontre d’associations de défense de milieux naturels menacés et d’experts visionnaires autour d’une question altruiste nouvelle: quelle Terre allons-nous laisser en héritage aux générations futures? Nous assistons aujourd’hui à la naissance d’un élan historique et durable.
«Une grande droiture»
Ce débat sur le «mariage pour tous» a aussi été l’occasion de se confronter à des «adversaires». «Le respect, ça ne se décrète pas, ça se travaille, souligne-t-il. J’ai, par exemple, eu de beaux échanges avec Nicolas Gougain, le porte-parole de l’Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans). J’ai du respect pour ce gars de 28 ans qui s’engage pour ses convictions. J’essaie de cultiver une non-violence intérieure, sans perdre la fermeté de mes arguments. C’est une “arme de construction massive” de la paix sociale.»
Ami de Tugdual Derville depuis Sciences Po, ce haut fonctionnaire de gauche tient à témoigner de sa «grande droiture»: «Il n’est pas du tout sectaire, assure ce partisan du mariage pour tous. Animé par une foi qui déplace les montagnes, il croit que rien n’est impossible.» Même admiration du côté de l’ancienne ministre de François Mitterrand, Georgina Dufoix: «On ne doit pas mettre les mêmes bulletins dans l’urne, mais je lui trouve des qualités au-dessus de la moyenne», dit-elle. Quant à Frigide Barjot, la médiatique figure de proue du mouvement, elle s’enflamme: «Avec Tugdual, c’est à la vie, à la mort! On est mariés jusqu’au retrait du projet de loi Taubira, et bien au-delà.» Plus sérieusement, poursuit-elle, «on est très complémentaires. Avec lui, j’ai appris plein de choses sur la vie, l’engendrement, la fin de vie.»
Celui dont tout le monde loue «la remarquable écoute» perçoit-il aujourd’hui les souffrances de ceux qui s’estiment discriminés? «Il y a un tropisme, dans ce projet de loi, sur certaines souffrances, qui sont bien sûr à entendre, répond Tugdual Derville. Mais derrière l’émotion, il ne faudrait pas occulter le risque de créer d’autres souffrances chez ceux qui ne peuvent pas se défendre, car ils ne sont pas encore nés… C’est un peu facile de dire que tout va pour le mieux dans le monde homoparental!»
Quant au gouvernement, «je crois qu’il n’a pas mesuré l’ampleur de ce qui se joue aujourd’hui», lance-t-il. «Il fonctionne comme dans Le Chêne et le Roseau, conclut ce passionné de La Fontaine. Il ne cille pas. Mais l’arrogance du chêne, on sait comment ça se termine…»