Propos recueillis par Laurence de Louvencourt pour « Il est vivant !« .
Construire la paix, c’est à la fois une décision et un travail.
La confrontation avec des adversaires, c’est comme une épreuve sportive. Cela demande à la fois une préparation profonde, puis une autre, plus immédiate. Il faut être intellectuellement préparé, y compris aux attaques malveillantes. Il y aussi une préparation du cœur, dans la prière, qui n’est pas du tout déconnectée de l’action. On se jette à l’eau, mais on peut appeler au secours à tout moment afin d’éviter la noyade. En situation, la prière humanise les relations.
Comme je sais que « Ce que je suis crie plus fort que ce que je dis », j’essaie d’être en paix pour vivre ces confrontations. Cela passe par un vrai combat intérieur, parfois très douloureux. Arriver en paix permet de poser un regard de bienveillance sur mon interlocuteur : je suis certain que c’est une personne magnifique, je désire l’aimer, l’admirer, l’estimer. Il pourra m’apprendre quelque chose de la vérité, de l’humanité. Avant, ou juste après les débats, j’essaie de rencontrer les personnes en vérité. Même si ce sont parfois des adversaires coriaces, ils ont leur légitimité, leur courage. Ce ne sont jamais des robots. Assez souvent, nous avons pu briser la glace.
Une des choses les plus belles que j’ai pu ressentir à l’occasion de débats difficiles, c’est une affection fraternelle pour mes adversaires. Cela ne m’empêche pas de les contredire avec force, par souci de vérité, quand ils ont un point de vue opposé au mien. Je pense à quelqu’un en particulier. J’avais l’impression qu’il ne parvenait même pas à me regarder, sur les plateaux télés, tellement il avait une image négative de moi… Un jour où nous nous rendions tous deux à un débat contradictoire, nous nous sommes rencontrés dans le train. Alors que la salle était partagée par moitié entre ses supporters et les miens, assez virulents des deux côtés, j’ai commencé par lui rendre un hommage sincère, avant d’échanger avec lui en essayant d’être « juste ». Après ce débat assez rude, il est venu vers moi pour me proposer un verre ; je lui ai présenté ma femme et nous avons eu une conversation presque intime, avec beaucoup de respect mutuel. Je l’ai retrouvé quelques jours après sur l’antenne d’une radio. Même si la confrontation fut serrée, le contact était sans virulence.
Face à des journalistes hostiles, la même attitude est à cultiver : choisir de les aimer donne des forces. Ce n’est pas toujours facile, mais, en tant que chrétien, j’atteste que c’est une grâce donnée si elle est demandée. Je l’ai expérimenté ! Aimer les journalistes ne m’empêche pas d’argumenter avec fermeté. Il ne s’agit pas de se laisser faire. Je peux aussi dire ma colère. Si je me fais piéger, j’exerce mon droit de réponse.
Mes convictions profondes sont comme une ancre. Cette loi de vie, très universelle, qui est au plus profond de moi, je ne la lâcherai pas. Bien arrimé, je peux aller très loin dans la logique de l’autre et ses tempêtes, pour entendre ce qu’il dit, et essayer de comprendre ce qui, dans son point de vue, est valide. La bienveillance n’exclut pas l’esprit de vérité. C’est simplement libérateur de ne pas ajouter à la complexité intellectuelle d’un débat une sorte d’animosité qui me ferait réagir avec des impulsions émotionnelles qui sont souvent mauvaises conseillères. Nous appelons trop vite « saintes » des colères qui sont des défenses égotiques.
Une chose est certaine : ce qui transparaît de bon en nous ne vient pas de nous. « Bon Maître… », « Tu dis vrai car Dieu seul est bon », répond Jésus dans l’Evangile. La bonté, c’est l’arme fatale – disons plutôt vitale – qui ne m’appartient pas. J’en suis toujours un indigne témoin. Maurice Zundel, dans Notre-Dame de la Sagesse explique que seul un éclair de bonté permet à l’autre d’être restauré dans ce qu’il est au plus profond. Il y a les mots bien sûr, mais surtout le ton de la voix, le regard, le visage, qui doivent refléter la bonté intérieure.
La bienveillance est source de vérité ; le tranchant de la vérité, c’est la bonté.
En légende de mon blog, j’ai mis cette phrase: « Accordons-nous sur nos désaccords. » Ce qui signifie : Commençons par mettre en lumière nos points de divergence. Cela permet de sortir d’une dialectique manipulatrice. Pourquoi coller par avance sur l’autre toutes sortes d’étiquettes l’enfermant dans sa caricature ? Clarifier nos divergences permet déjà d’avancer. Cette posture peut même rendre fraternel un débat entre deux adversaires, unis sous les feux des projecteurs…
Récemment, j’ai subi, après un débat sur l’euthanasie, le vote du public du studio d’une station de radio : il me fut défavorable à 100%. J’ai d’abord éprouvé une sorte de dépit honteux, puis aussitôt pensé : « Quand tu es accusé, ne convoque pas ton tribunal intérieur ! » J’ai éprouvé une certaine joie à cause de cette hostilité unanime. Flairant une manipulation, mon adversaire m’a d’ailleurs confié qu’il était gêné par ce vote. J’ai été réinvité plusieurs fois par la même radio, dans d’autres débats où j’ai « marqué des points ».
Accepter de débattre en vérité réclame le plus d’humilité possible. Il faudrait consentir à se montrer fragile, vulnérable et peut-être même souffrant. Celui qui se blinde ne nous révèlera pas son cœur de chair. Certes, personne n’aime être déstabilisé, secoué, ridiculisé ou rester sans voix. La seule armure à endosser, c’est est celle du combat spirituel. Nous pourrons être blessé, mais pas anéantis.
Il m’est arrivé d’entendre des gens dire : « Ça suffit de toujours perdre ! » Mais le travail d’évangélisation explicite ou plus implicite (par une anthropologie ajustée à la réalité de l’homme) a une fécondité mystérieuse : la victoire de la vie – déjà, advenue – peut se cacher dans la défaite apparente. De toutes les façons, ce serait absurde d’entretenir la brutalité du monde en nous raidissant… La vérité dont nous témoignons passera toujours par la douceur.
Article paru dans la revue « Il est vivant ! » (numéro 322, janvier 2015).
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