Délégué général de l’association Alliance Vita, Tugdual Derville est une des figures de « la Manif pour tous » qui s’oppose au projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe en discussion à l’Assemblée nationale.
Dans sa poche, le téléphone n’arrête pas de vibrer. Des journalistes se pressent à sa porte et le matin même, dans le train qui le conduisait de la Vendée à Paris, plusieurs passagers l’ont reconnu. Pour Tugdual Derville, délégué général del’association Alliance Vita, cette notoriété est inédite.
« Nous vivons un moment historique », affirme-t-il avec fierté, tout de même pris d’un certain vertige en songeant à la foule réunie le 13 janvier sur le Champ de Mars, à Paris, pour manifester son opposition au projet de loi sur le mariage pour tous. 340 000 personnes selon la préfecture ?
Plus d’un million selon les organisateurs ? La bataille des chiffres n’intéresse pas Tugdual Derville. La victoire, pour lui, c’est « d’avoir réussi à montrer la nécessité d’un débat. Il faut maintenant que François Hollande l’entende, suspende le projet et organise un référendum. Ce n’est pas au Parlement de trancher sur un sujet aussi grave. »
Quel sort pour les enfants ?
Au-delà du mariage civil, Tugdual Derville s’inquiète du sort des enfants qui seront conçus par procréation médicalement assistée ou par mères porteuses, même si ces derniers dispositifs n’entrent pas dans l’actuel projet de loi.
« Nous avons tous été engendrés d’un homme et d’une femme, rappelle- t-il. Effacer délibérément ce repère-là va nous faire basculer dans un autre monde où l’enfant deviendra un objet. Tous les désirs – et le désir d’enfant en est un, magnifique – méritent d’être entendus mais tous ne peuvent être exaucés. Comment un enfant peut-il se construire dans le mensonge ? La démocratie doit avant tout protéger les plus vulnérables. »
■ Défendre le respect de la vie
Défendre les faibles et les fragiles, voilà le leitmotiv de sa vie d’engagements. Fils de militaire, Tugdual Derville, 51 ans, a passé son enfance entre Lille, Paris, la Bourgogne et la Provence. Dyslexique, un brin rêveur et « mélancolique », il a plus de 19 ans lorsqu’il obtient son bac « avec de grosses difficultés ». Il se révèle ensuite, dans un cursus brillant qui le mène à Sciences Po puis à l’Essec, une prestigieuse école de commerce. À peine diplômé, il entre chez les petits frères des Pauvres. « Je n’aurais pas pu travailler ailleurs », dit-il.
Une rencontre, à Lourdes, lorsqu’il avait 20 ans, l’a transformé. « J’étais brancardier volontaire et je me suis occupé d’un petit garçon d’une dizaine d’années, Cédric. Très lourdement handicapé, il ne communiquait qu’en clignant de l’œil, se souvient-il. J’ai compris ce que signifiait la dignité humaine ».
En 1986, il fonde l’association À bras ouverts, où des bénévoles accueillent, le temps d’un week-end, des enfants handicapés, pour permettre à leur famille de reprendre des forces. L’organisation compte, aujourd’hui, 15 000 bénévoles.
Après ce premier poste chez les petits frères des Pauvres, il travaille quelque temps auprès de l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué, puis rejoint Alliance Vita dont il devient délégué général en 1994. L’association, fondée en 1993 par Christine Boutin lors des premières lois bioéthiques, milite pour la protection de la vie humaine de la conception jusqu’à la fin de vie.
« Défendre le respect de la vie humaine, c’est descendre dans la fosse aux lions : on m’a insulté et accusé, à tort, de juger les femmes qui avaient recours à l’avortement », explique Tugdual Derville qui a fait du refus de l’euthanasie un autre de ses grands chevaux de bataille.
Débordé par les réunions du collectif et les sollicitations des médias, il doit souvent se résoudre à dormir en solitaire sur le canapé de son bureau. « Je sens que j’ai une responsabilité face à la mobilisation, confie-t-il. Il faut que les gens mesurent la grandeur de ce qui les animent. L’ampleur du mouvement montre notre attachement à ces repères immémoriaux, un père et une mère. Je le compare à l’émergence de l’écologie, il y a quelques décennies. La question centrale est la même : quelle Terre allons-nous laisser aux générations futures ? »