C’est à la veille de la publication par le Conseil économique et social et environnemental (CESE) d’un avis préconisant la « sédation explicitement létale » et le jour de l’annonce par le CHU de Reims d’une reprise de la procédure d’arrêt d’alimentation visant Vincent Lambert que le président de la République a fait, aux Bernadins, un discours marquant. À l’approche de la fin des états généraux de la bioéthique, nous avons interrogé Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA sur ce contexte agité.
Vous étiez invité au Collège des Bernardins en ce lundi soir 9 avril. Qu’avez-vous retiré de cette désormais fameuse soirée ?
Tugdual Derville : D’abord, cette soirée a eu le grand mérite de nous réunir. Se retrouver entre personnalités chrétiennes (responsables associatifs, universitaires, patrons de médias, ecclésiastiques) est en soi fécond, indépendamment de la venue du président de la République. Il faudrait multiplier ces occasions. Les discussions que j’ai eues avec des responsables d’associations m’ont confirmé dans une conviction : ne nous laissons pas séparer en deux camps inconciliables (d’un côté les « sociaux », de l’autre les « sociétaux »). Nous serons d’autant plus crédibles que nous nous soutiendrons réciproquement dans nos divers prophétismes. Car l’humanité intégrale que nous portons ne se divise pas…
Les interventions liminaires des trois binômes qui ont ouvert cette soirée ont parfaitement manifesté la hiérarchie proposée par l’Évangile : les plus fragiles à la toute première place. Nul ne pouvait s’y tromper.
Qu’avez-vous retenu du superbe discours d’Emmanuel Macron ?
Un paragraphe m’a paru particulièrement emblématique, lorsque le chef de l’État a reformulé de façon effectivement magnifique la cohérence des prises de position de l’Église de France en répondant à Mgr Pontier. Ces mots-là, je ne veux pas les oublier: « Vous avez ainsi établi un lien intime entre des sujets que la politique et la morale ordinaires auraient volontiers traités à part. Vous considérez que notre devoir est de protéger la vie, en particulier lorsque cette vie est sans défense. Entre la vie de l’enfant à naître, celle de l’être parvenu au seuil de la mort, ou celle du réfugié qui a tout perdu, vous voyez ce trait commun du dénuement, de la nudité et de la vulnérabilité absolue. Ces êtres sont exposés. Ils attendent tout de l’autre, de la main qui se tend, de la bienveillance qui prendra soin d’eux. Ces deux sujets mobilisent notre part la plus humaine et la conception même que nous nous faisons de l’humain et cette cohérence s’impose à tous. »
Si cette cohérence s’impose à tous, c’est que l’Église n’est pas un lobby. Elle défend simplement la pleine humanité, ce qui explique le caractère universel de ce qu’elle exprime. Se sentir reconnus à ce point dans la motivation profonde de nos engagements, c’est exceptionnel.
D’ailleurs, la fureur laïciste immédiatement déclenchée par le discours présidentiel a valeur d’hommage !
Pourtant vous restez critique ?
Les chrétiens, n’ayant aucun intérêt personnel à défendre, se perdraient à évaluer un leader politique aux fleurs qu’ils en reçoivent. Ils ne peuvent se satisfaire d’être reconnus comme cohérents dans leurs appels à la justice pour les pauvres: c’est la justice concrète qu’ils attendent pour « tout l’homme et tous les hommes ».
Or, qu’en est-il du seul point de vue de « l’enfant à naître », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron sur un domaine d’engagement qui m’est cher ? Nous comptons au moins 500 mille embryons ou fœtus délibérément privés de vie chaque année en France si l’on additionne l’avortement (220 000) et la fécondation in vitro (280000), sans compter l’impact négligé des diverses techniques partiellement anti-nidatoires (stérilet et pilules dites du lendemain). En ayant cela en conscience – et aussi les autres sujets évoqués devant Emmanuel Macron et par lui – peut-on se satisfaire de sa demande faite aux chrétiens « de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République » ? En quoi la laïcité imposerait-elle cette « règle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis » ? Même doute quand il demande aux évêques de ne pas avoir une voix « injonctive » mais « questionnante » au nom du « moindre mal ». Si l’on transposait à d’autres sujets éthiques moins controversés désormais: racisme, peine de mort, excision, on mesure qu’on nous demande l’impossible. Abandonner les plus pauvres au relativisme éthique. Il faudrait, sur de telles questions, être questionnants plutôt qu’injonctifs.
Le Président a demandé aux chrétiens de revenir de leur dégoût du politique. Mais les lois gravement injustes, celles qui portent atteinte à la vie et à la dignité humaines, en laissant le législateur outrepasser son pouvoir, ont mis à l’écart ceux qui ne peuvent pas se compromettre avec les plus graves injustices.
Avec pareil raisonnement, les chrétiens sont hors-jeu…
Le président de la République a largement montré que les mettre hors-jeu menacerait gravement l’identité de la nation et la cohésion sociale. Les chrétiens sont encore au cœur de la créativité humanitaire que leur inspire leur foi. Ils ne doivent ni se dissoudre dans la mondanité, ni s’enfermer dans des ghettos. Ce sont les deux écueils qui les rendraient infertiles. Leur façon de promouvoir les personnes handicapées dans le monde me semble un cas d’école. En tenant ferme en faveur du respect de leur vie, avant comme après leur naissance, l’Église s’est montrée prophétique. C’est un sujet qui est à la fois universel – car faire preuve d’humanité, c’est protéger le plus fragile – et spécifiquement chrétien, car l’anthropologie chrétienne est celle de la vulnérabilité, qui rejoint la soif ultime de chacun.
Nous voyons justement émerger dans l’espace public les visages des personnes trisomiques qui étaient jusqu’ici traitées en parias. Le vent tourne. Le souci porté par ce gouvernement aux personnes handicapées ouvre un espoir : que, progressivement, la France prenne conscience que son eugénisme fait fausse route. Les chrétiens auront alors été des éveilleurs de conscience. Pour le rester, il leur faut s’unir au service du développement intégral de l’homme.
Dans le même temps, les offensives pour l’euthanasie se multiplient : affaire Lambert, CESE…
C’est comme une pluie acide, qui nous incite à bâtir des refuges pour les plus fragiles. Le CESE, organe consultatif, vient de produire un avis particulièrement pernicieux puisqu’il a osé déguiser le concept d’euthanasie – qu’il promeut – derrière une novlangue mortelle : « soins ultimes », « dernier soin » ou « sédation explicitement létale » après avoir tenté « médication expressément létale ». Certes un « dissensus » (c’est-à-dire un désaccord public) a été ajouté par une minorité du groupe de travail à la fin de l’avis… Et le résultat du vote reste confus. Le CESE s’est à nouveau déconsidéré en maltraitant un sujet qui n’est pas de sa compétence. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui conteste l’amalgame tenté entre soins palliatifs et euthanasie, ne s’y est pas trompée.
L’affaire Lambert est d’une autre nature. Quelle qu’en soit la raison, il y a un acharnement à vouloir faire mourir un patient paucirelationel – c’est-à-dire incapable de s’exprimer clairement – qui n’est ni en fin de vie, ni dépendant de traitements. Vincent – comme l’a souligné le professeur de neurologie Xavier Ducroq – a déjà résisté il y a 5 ans à 31 jours d’arrêt d’alimentation. Il a manifesté sa vitalité. Avec cette situation qui divise une famille (d’un côté une épouse et de l’autre des parents) on risque de fragiliser la vie de milliers d’autres patients neurovégétatifs et paucirelationnels, et l’engagement de leurs proches et de leurs soignants.
Le plus scandaleux dans cette affaire, c’est l’enfermement de ce patient dans un service qui n’est pas adapté à sa situation, sans prise en charge de rééducation (déglutition notamment). C’est le sens de l’appel lancé par des médecins spécialistes de ces grandes dépendances chroniques…
Pensez-vous que ce sujet viendra en débat lors de la révision de la loi bioéthique qui s’annonce ?
Il faut rester vigilants. Jusqu’ici les signes donnés par Emmanuel Macron sur la fin de vie sont plutôt positifs. Après des années d’offensives, les décideurs ont appris à résister aux vagues successives. Pourquoi prendre le risque d’ouvrir une nouvelle bataille sociétale, en déséquilibrant par ailleurs un système de santé déjà fragilisé par bien d’autres problèmes ?
Nous craignons davantage, à partir de l’ouverture de la PMA aux personnes n’ayant pas de problème d’infertilité médicale, un basculement vers un nouveau paradigme procréatif, où l’enfant deviendrait, non plus le fruit d’un amour entre son père et sa mère, mais un produit fabriqué. Eugénisme accru, marchandisation des corps, confusions généalogiques, trafics en tous genres…: les conséquences seraient abyssales.
Heureusement, les états généraux qui vont s’achever ont eu le mérite de montrer que la plupart des personnes qui s’intéressent à ces questions ont conscience de ces risques. Le Président ne peut plus l’ignorer. Face au marché de la procréation qui menace l’Humanité, nous sommes nombreux à être prêts à nous mobiliser pour protéger l’écologie humaine.
Propos recueillis par Frédéric Aimard
3 réflexions au sujet de « Bioéthique : pluie acide ou éclaircie ? »