Une maxime de l’Evangile aura aujourd’hui un poids abyssal : « A chaque jour suffit sa peine ! ». A partir de 15 heures, on ne songe pas à demain soir. La peine suffit, récapitulant toutes les souffrances du monde. Nous sommes invités à demeurer dans les ténèbres, sans trop penser par anticipation à la lumière de Pâques, même si la tristesse du vendredi saint serait insupportable sans la divine surprise du surlendemain. Pour goûter la joie pascale, mieux vaut se couler aujourd’hui dans la déréliction des disciples de Jésus crucifié : atterrement, incompréhension, déception ; honte, effroi, chagrin ; fuite, effondrement. Tout est réduit à néant. C’est l’occasion d’épouser les sentiments terribles de tous ceux qui désespèrent : personnes abandonnées, isolées, apeurées, rejetées, malaimées, abusées…
A chacun d’imaginer comment il peut davantage prendre conscience de tout le malheur du monde, ses errances, ses disputes, ses chutes, ses fautes – y compris les nôtres. La Croix est lourde de tout cela. Le confinement peut-il nous aider ? Privés des grandes cérémonies du triduum pascal, il faudrait que nous soyons capables de goûter le manque. Pas évident. Je me souviens du témoignage d’un ancien prisonnier politique cubain de religion catholique. Il souffrait tellement de ne pouvoir se confesser qu’il avait rêvé sa confession. Hier, je n’ai pas rêvé du lavement des pieds.
Le 25 mars dernier, jour de l’Annonciation, on célébrait le 25ème anniversaire de l’encyclique l’Évangile de la vie, du pape Jean-Paul II. Je me souviens des derniers temps de ce pape souffrant, courbé, comme accroché à sa croix. La phrase qui commence le chapitre 2 de l’Evangile de la vie, dit ce que fut sa déréliction devant l’état de l’humanité (je le cite) « Face aux menaces innombrables et graves qui pèsent sur la vie dans le monde d’aujourd’hui, on pourrait demeurer comme accablé par le sentiment d’une impuissance insurmontable : le bien ne sera jamais assez fort pour vaincre le mal ! ». Vendredi saint, il est bon de mesurer cette tentation désespérée décrite par saint Jean-Paul II. Chacun peut la décliner selon les misères que son cœur voit : incroyance, égoïsme, guerres, eugénisme, situation des personnes âgées ou des migrants, privation des rites de deuil… Mais il faut vite lire la suite immédiate de l’Évangile de la vie : « C’est alors que le peuple de Dieu, et en lui tout croyant, est appelé à professer, avec humilité et courage, sa foi en Jésus Christ, « le Verbe de vie ».
Bon vendredi !