Audition parlementaire d’Alliance VITA (27 août 2019)

Le 27 août 2019, Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA, Caroline Roux, déléguée générale adjointe et directrice de VITA International, et Blanche Streb, directrice de la formation et de la recherche, étaient auditionnés, avec d’autres associations, devant la Commission spéciale de bioéthique de l’Assemblée nationale.

 

Verbatim extraits de l’audition :

Tugdual Derville

Pour Alliance VITA, l’aboutissement de ce débat nous fait paraître l’ensemble de ce qui se passe depuis deux ans comme une forme d’enfumage généralisé ; on nous avait promis un débat apaisé, et on a eu des états généraux dont les résultats ont été escamotés, de nombreuses auditions aboutissant à un projet de loi qui pour nous est doublement grave et dangereux :

  • La PMA sans père d’abord, qui escamote le père, est pour nous une grave injustice pour l’enfant. 91 % des Français estiment que le père a un rôle essentiel à jouer ; c’est un basculement absolument inédit qui monopolise, focalise l’attention, et qui est gravissime par ses conséquences (le droit à l’enfant que cela instaure pour tous).
  • Il y a aussi tout le reste, qui est occulté aux yeux des Français, qui ne connaissent pas les conséquences de l’auto-congélation ovocytaire, du double don, de l’effacement de toutes les digues que les lois précédentes avaient prétendu mettre, autour notamment de la protection de l’embryon humain.

Rien de ce que nous avons pu dire au fil des auditions très nombreuses déjà, rien n’a été pris en compte dans ce projet de loi.

Ce que nous pouvons souhaiter pour notre part, c’est que les deux grandes urgences sociétales qui sont occultées aujourd’hui par ce projet de loi soient prises en compte :

  • une politique nationale de lutte contre l’infertilité qui fait absolument défaut
  • une politique de préservation de l’intégrité du patrimoine humain, de l’espèce humaine notamment contre cet eugénisme dont nous avons en France le triste record, et qui risque de s’aggraver par différentes dispositions de la loi bioéthique.

 

Caroline Roux

Nous accompagnons 2500 femmes chaque année sur les questions liées à la maternité, et en particulier à la fertilité ou à l’annonce de handicap, et je dois dire que les couples confrontés à l’infertilité sont les grands oubliés de ce projet de loi.

Aucun couple ne se lance de gaité de cœur dans un parcours d’assistance médicale à la procréation ; il ne le considère pas comme un droit, mais plutôt comme une proposition médicale, alors que ce n’est qu’un palliatif (…) leur souhait profond serait de pouvoir procréer de manière autonome.

Blanche Streb

Dans ce projet de loi nous sommes dans un contexte de procréation artificielle à tout prix avec au milieu l’embryon humain qui est à la fois le grand convoité et le grand instrumentalisé.

En Chine, les premiers bébés génétiquement modifiés sont déjà nés ; en Grèce et en Ukraine, les cliniques de fertilité proposent déjà la FIV 3 parents. Devant cette immense menace le projet de loi répond par une incohérence : la suppression de l’interdit de créer des embryons transgéniques. Il ouvre aussi la voie aux gamètes artificiels.

Il est légitime de se demander jusqu’où nous allons aller dans cette utopie de fabriquer artificiellement l’humain.

Ce projet de loi ouvre aussi, avec les chimères, à une grave rupture anthropologique : celle de la frontière entre l’homme et l’animal, puisqu’il ouvre la possibilité d’introduire des cellules humaines dans des embryons animaux. À partir de quel moment considère-t-on qu’on n’est plus complètement animal, pas tout à fait humain ?

Dans ce projet de loi que tout ce qui est faisable devrait être fait, pour peu qu’il y ait un marché derrière.

En ce qui concerne l’eugénisme aujourd’hui, la technologie qui nous permet de trier les embryons in vitro avec le diagnostic préimplantatoire de plus en plus poussé et efficace (séquençage de l’ADN…). À l’étranger aujourd’hui des cliniques privées proposent à des couples qui ne sont pas infertiles d’avoir recours à des FIV pour pouvoir analyser leurs embryons, par exemple pour le choix du sexe ou éviter des maladies.

On est amené à découvrir des choses qu’on n’était pas venu chercher, des prédispositions, des gènes qui nous donnent des informations médicales. On ne sait pas tout de la génétique, c’est un gros iceberg, on est quand même plus qu’un code génétique, et on n’aura jamais un « bébé zéro défaut » : c’est une utopie dans laquelle il ne faudrait surtout pas s’engager.

Quand des personnes qui sont porteurs de telle ou telle maladie savent qu’aujourd’hui on empêche des embryons atteints des mêmes maladies de vivre, elles se sentent remises en cause dans leur vie personnelle. C’est un projet de société qui est derrière ; la vulnérabilité c’est une condition de la vie humaine, on ne l’éradiquera jamais. Il y a vraiment un enjeu de construire notre société sur une capacité à accueillir la personne fragile, handicapée.

Tugdual Derville

L’ouverture du droit au sperme pour des femmes seules n’ayant pas l’épreuve de l’infertilité s’apparente à un droit à l’enfant ; le désir de l’adulte est exaucé au prix de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Quel est le sens d’une société qui commence déjà à proposer aux femmes avancées en âge cette auto-congélation ovocytaire qui va être normée par une loi ? N’est-ce pas une emprise étatique sur le corps des femmes (non pas le marché libéral, américain, dont le président Macron a dit qu’il ne voulait pas, mais un marché à la française, jacobin) ?

Caroline Roux

Sur l’infertilité, aujourd’hui, on se focalise énormément sur l’assistance médicale à la procréation, en oubliant des pans entiers autour de la prévention, comme notamment alerter les jeunes sur la baisse de la fertilité, sur le problème que constituent les grossesses tardives, mais aussi des mesures sociales pour aider les femmes à concilier grossesse et études…

L’Agence de biomédecine pourrait fournir un recensement des causes de demande d’AMP, ça nous aiderait à voir où orienter les recherches, ce qui pourrait améliorer l’aide.

Un rapport demandé par la loi de sur les causes de l’infertilité a été rendu en n’a pas été suivi vraiment de politique volontariste. Je pense qu’il y a beaucoup à faire en ce sens.

Blanche Streb

Il y a des changements importants dans ce projet de loi concernant l’embryon : le changement de régime qui consisterait à passer d’autorisation à déclaration, la suppression de l’obligation de démontrer que ces cellules souches embryonnaires n’ont pas d’alternative.

Il y a aussi cette question de la culture embryonnaire jusqu’à 14 jours ; donc on arriverait à des cellules qui sont différenciées, parce que derrière on pourrait prélever des cellules (…) et donc constituer des traitements, des médicaments à partir de cellules embryonnaires [et donc détruire les embryons]. Voulons-nous des médicaments à partir de cellules embryonnaires ?

Si on met beaucoup beaucoup d’argent, de temps, d’énergie sur un type de recherche, on n’en met pas forcément ailleurs dans des recherches plus éthiques : c’est une question de choix politiques qui est aujourd’hui posée.

Tugdual Derville

Vous disiez que « ça n’impose rien à qui que ce soit » ; nous avons des exemples dans nos services d’écoute, la proposition technique n’est pas neutre, elle fait largement injonction, déjà aujourd’hui, aux femmes de recourir aux techniques qu’on leur propose.

La démocratie fonctionne lorsque des limites sont apportées aux désirs des forts au profit des faibles. Nous estimons qu’il n’y a pas de raison d’imposer à un enfant non encore conçu d’être amputé de son père.

Vous allez imposer à tous le changement de paradigme, le changement de vocabulaire, l’affaissement de la notion de paternité et de maternité. Vous allez imposer à tous de financer une injustice que je récuse, vous allez faire des campagnes de promotion de dons de gamètes pour pouvoir donner à des femmes seules des enfants, et je récuse le fait que mon impôt soit au service d’une injustice gravissime.

Au bout d’un moment, c’est un modèle qui bascule. Des médecins ne se cachent pas d’estimer qu’il vaudrait mieux désormais faire des enfants en éprouvette plutôt que sous la couette de telle sorte qu’on améliore la qualité, qu’on améliore la santé. C’est porter atteinte au principe d’écologie humaine de parité, qui est le plus bafoué dans cette loi, dont nous avons tous bénéficié dans notre engendrement.

Nous avons besoin de l’autre sexe pour procréer, cette dissymétrie est une belle limite. En quoi le législateur s’autoriserait à l’effacer, en inventant des procédés qui escamotent l’homme, le père ?

On nous dit que « tout se passe pour le mieux, dans le meilleur monde homoparental ou monoparental possible » mais ce n’est pas ça le réel. Les associations qui accompagnent des familles en difficulté vous diront, si vous les rencontrez aussi, à quel point c’est difficile et complexe d’élever des enfants dans un cadre où il y a un manque de père. Quand l’enfant a été conçu d’une certaine manière, ou avec un très grand désir, dans certains cas cela fait peser sur l’enfant l’injonction de réussir. Il y a, au fond, un tabou des difficultés éducatives dans un cadre  » homoparental ».

Nous avons été constants dans notre défense du plus fragile, à savoir celui qui est sans visage et sans voix : l’embryon humain ; nous assistons à une politique du glissement continu en matière bioéthique, à chaque fois qu’on nous a garanti qu’il y aurait telles et telles digues, à l’arrivée il n’y a pratiquement plus de bioéthique, et le grand le dindon de la farce est l’être humain lui-même, parce que la conception de l’homme devient instrumentalisée.

Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents, ils n’appartiennent pas à l’état non plus, les enfants méritent d’être libres et égaux en droit.

Des personnes concernées par ces sujets auront du mal à témoigner, mais nous en écoutons dans nos services d’aide : c’est très difficile pour elles. Ce sont des personnes qui sont aimées, qui sont désirées, qui sont choyées. Les douleurs ou les difficultés qu’elle éprouvent du fait d’une privation des repères, de l’amputation du père, d’une forme de maltraitance originelle (c’est à dire qui préside à la conception même), c’est très difficile de l’exprimer parce que ce faisant, elles risquent de récuser l’amour sincère qu’on leur porte, et donc de faire une peine immense à celles où à ceux qui les élèvent dans des configurations qui ne sont pas faciles à vivre.  J’ai eu de nombreux témoignages dans nos services d’écoute de situations extrêmement complexes liées à ces bricolages procréatifs.

On nous a promis qu’il n’y aurait jamais cette PMA sans père, nous y sommes ; donc nous avons des raisons plus importantes encore de nous mobiliser, d’autant plus que maintenant on ne peut plus nous dire « Il n’y aura pas la GPA ». Évidemment nous nous mobilisons fortement, nous espérons du débat parlementaire qu’il abordera tous ces sujets et qu’il y aura les témoignages, des expertises prises en compte de manière peut-être un peu moins unilatérale.

Nous avons été entendus, pas été écoutés, et donc nous allons nous faire entendre évidemment dans la rue. Nous espérons que du côté des parlementaires il y aura une vraie liberté de conscience et de vote et pas une forme de pensée unique qui parfois semble se profiler.

Sur des sujets aussi complexes, les Français ne sont absolument pas d’accord les uns avec les autres, il suffit de regarder les sondages d’opinion. Malheureusement ce n’est pas un débat apaisé.

Est-ce vraiment la priorité pour la France ? Voilà qu’on va casser des lois bioéthiques déjà bien fragiles et aussi peut-être renoncer à cette bioéthique à la française, qui jusqu’alors a au moins résisté à la marchandisation des corps, à cet utilitarisme anglo-saxon. On entre dans le marché, et ça pour nous c’est abandonner ce qui fait d’une certaine manière l’âme de la France, pays des droits de la personne.

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