Le processus de vote de la loi Taubira a été soudain accéléré en vue d’un vote définitif dès le mardi 23 avril. Panique au gouvernement ?
Comment interprétez-vous cette accélération ?
Elle intervient dans la droite ligne de l’ensemble du processus. C’est un projet de loi de toute-puissance sur le fond, marqué, sur la forme, par la volonté d’escamoter le débat, à l’image du slogan trompeur « mariage pour tous ». Erwan Binet, son rapporteur à l’Assemblée nationale, a assumé ses auditions sélectives en affirmant que nous n’avions « pas d’argument de fond » ; son alter ego au Sénat, Jean-Pierre Michel, a refusé de nous auditionner au motif que nous étions « les pires des homophobes ». Entre-temps, les quelque 700 000 signatures de la plus grande pétition jamais organisée en France ont été écartées d’un revers de main. Un dérisoire vote à main levée a clos la séquence sénatoriale. Et voilà que la majorité embraye sur la seconde lecture à l’Assemblée…
Le pouvoir imagine peut-être provoquer l’extinction de notre mouvement en bâclant la fin de la procédure… Mais à chaque fois que l’exécutif a tenté de nous étouffer, il a surtout provoqué la croissance de ce mouvement, dont il avait suscité l’émergence par sa promesse électorale insensée.
Ne craignez-vous pas cependant une lassitude de l’opinion tout autant qu’un épuisement des manifestants ?
Au contraire, plus les jours passent, plus les Français se demandent dans quelle impasse leur président s’est engagé. Les sondages d’opinion évoluent chaque mois dans le sens d’un rejet croissant et désormais très majoritaire de cette loi.
L’efficacité de notre travail d’explication sur le terrain est en train de payer. Nous sommes en effet en mesure de démontrer que, par un jeu de dominos, ce prétendu « mariage pour tous » aboutirait à vider le mariage de son sens profond, tout en encourageant un marché des êtres humains sur commande : pour un prix de 100 000 dollars pièce, l’enfant conçu par GPA et PMA, selon la révélation du Figaro du 11 avril !
Ce que le gouvernement n’a pas encore compris, c’est que notre mouvement de résistance génère sa propre force : chaque personne ralliée peut devenir un média à elle toute seule (via les réseaux sociaux sur Internet) dès lors qu’elle s’engage, se forme, argumente… Les rencontres que nous faisons au cœur de nos manifestations et en marge de nos meetings sont marquées par la mixité sociale et la diversité. Je vois naître une nouvelle génération de Français qui s’impliqueront durablement pour le bien commun et la paix sociale.
Pourtant, le gouvernement et les médias parlent de radicalisation et de violence. Que leur répondez-vous ?
Le pouvoir joue avec le feu. Normalement, un mouvement social de l’ampleur du nôtre — inédit par sa vitesse d’émergence, son mobile altruiste et, désormais, sa ténacité — devrait recevoir une marque de respect. Ne serait-ce que par prudence politique. D’autres hommes d’État auraient eu à cœur de nous donner des signes d’apaisement, voire des garanties par rapport à ce que nous décrivons comme perspective inéluctable liée à ce projet… Or, c’est exactement l’inverse qui se passe.
L’erreur des promoteurs du projet, c’est de tout analyser en termes de rapports d’intérêt, sans voir que ce sont ceux qui n’ont rien de personnel à défendre qui sont les plus déterminés.
Jusqu’à devenir dangereux pour l’ordre public ?
N’exagérons pas… À ma connaissance, il n’y a heureusement eu ni voiture brûlée, ni vitrine brisée, ni barricade enflammée… Comment le pouvoir peut-il nous faire passer pour de virulents homophobes, alors que des personnalités homosexuelles défilent dans nos rangs ? Nous ne sommes pas dupes du piège qui nous est tendu : on veut d’abord nous présenter comme hostiles à une catégorie de personnes, celles qui sont concernées par l’homosexualité, et cela peut effectivement les insécuriser… Ensuite, on amalgame à notre mouvement des faits divers qui n’ont rien à voir avec l’opposition à la loi Taubira. Enfin, on met en avant quelques groupuscules douteux bien identifiés, à ne pas confondre avec l’agitation de jeunes qui sortent légèrement des clous, sans porter toutefois atteinte ni aux biens ni aux personnes… Après avoir laissé en liberté les Femen récidivistes, qui avaient investi à demi-nues la cathédrale Notre-Dame en vociférant, le ministre de l’Intérieur a fait le choix de placer en garde à vue 67 jeunes qui avaient déployé leurs tentes sur une place publique… Le signal est explicite.
La non-violence est notre plus bel atout. Dans une société démocratique qui demeure attachée à la liberté d’expression, la colère et l’écœurement peuvent parfaitement s’exprimer de façon paisible. C’est une idéologie, et non des personnes, que nous avons comme adversaire.
En se débarrassant aussi vite de ce texte, le gouvernement ne va-t-il pas, tout de même, démobiliser une bonne partie de votre mouvement ?
Je n’en crois rien. La libération des esprits a commencé. La conscience profonde que nous avons de l’injustice de ce projet et de ses conséquences en cascade est irrépressible. Le mois de mai verra fleurir d’immenses manifestations au service de l’humanité de demain. Peu importe que ceux qui nous gouvernent en soient stupéfaits : l’essentiel est que la conscience de devoir défendre l’homme contre lui-même ait progressé de façon fulgurante…
C’est une priorité à décliner dans de multiples domaines, dans l’esprit de ce courant d’écologie humaine dont nous avons annoncé la naissance, avec l’économiste Pierre-Yves Gomez et le spécialiste des crises environnementales du long terme Gilles Hériard Dubreuil.
Prochaines échéances ?
Du côté de la Manif pour tous, ce sont des rendez-vous quotidiens à proximité de l’Assemblée nationale jusqu’au moment du vote, qui devrait intervenir le mardi 23 avril. Est également lancée une mobilisation d’ampleur régionale le dimanche 21 avril à Paris, en attendant celle du 5 mai, avec, en perspective, la date importante du 26 mai… Dans le même temps, je travaille en profondeur sur cette thématique de l’écologie humaine, avec des intellectuels de premier plan. Il est en effet essentiel de concilier la résistance au jour le jour et la proposition positive, construite sur le long terme.
Propos recueillis par Frédéric Aimard