Dans un éditorial remarqué de l’hebdomadaire La Vie, mon ami Jean-Pierre Denis a défendu la nécessité – quand il s’agit d’exprimer des convictions – de ne pas négliger le ton par une focalisation excessive sur le fond.
Il discutait de la façon de contester les lois bioéthiques. Sur ce point, je suis d’accord. Ajuster le ton et le fond, c’est d’abord une question – comment dire ? – de décence. Dès qu’on aborde des sujets intimes, nous marchons sur des œufs. Et c’est le cas de le dire ici car il est question de procréation et d’embryons… Nous risquons toujours de choquer ou de blesser inutilement.
Par ailleurs, adopter le bon ton n’est pas seulement une preuve de délicatesse, c’est aussi une exigence d’efficacité. Le ton participe au message. Toute communication est affaire de ton autant que d’argumentation. Car ce que je suis crie plus fort que ce que je dis.
Pour un chrétien, l’exemple du Christ, capable de dire ses quatre vérités à la Samaritaine à propos de ses frasques conjugales, sur un ton de bienveillance et de miséricorde absolue, est un modèle universel.
Du coup, je vois un écueil inverse à la dérive de « virulence » dénoncée à juste titre par Jean-Pierre Denis : la peur de déplaire, qui peut conduire à affadir le fond voire à y renoncer. Jean-Pierre estime qu’en soutenant une manifestation contre la loi bioéthique, l’Église risquerait de « remettre sous tension les communautés paroissiales » et « de perdre encore de sa crédibilité ». C’est peut-être vrai, mais ces raisons sont-elles valables ?
Nous savons à quelles dérives peut aboutir l’injonction à se taire, dans une famille ou une communauté, pour lui éviter des tensions internes. La réticence à dénoncer des injustices par peur de diviser a fait scandale dans l’Église ! On ne fait pas l’unité sur le dos de la justice.
J’ai la même gêne sur la question de la crédibilité. Est-ce vraiment un but pour les chrétiens que de ne pas déplaire ? N’y a-t’il pas plutôt le risque qu’ils sacrifient la justice à la mondanité ?
J’ose une transposition : au XIXème siècle, l’abolition de l’esclavage a posé de graves problèmes politiques et économiques ; elle a ruiné des esclavagistes, furieux de voir leur mode de vie contesté… Et ce débat a divisé des communautés chrétiennes. La transposition est actualisable, si l’on saisit le caractère inhumain de la congélation embryonnaire et de la gestation par autrui, qui s’apparentent à de l’esclavage moderne.
Bref, l’expression de la vérité gagne à être douce, mais il faudra assumer sa part inévitable de tranchant.