Tribune de Tugdual Derville parue dans Valeurs Actuelles le 1er décembre 2016, jour de la discussion à l’Assemblée nationale du délit d’entrave numérique à l’IVG. Il s’offusque qu’on puisse nier et faire taire une voix dissonante sur l’avortement, qui reste avant tout un drame humain.
Comme un douloureux secret de famille, à l’échelon de millions de femmes, d’hommes, de couples, de la Nation française tout entière, les statistiques de l’IVG sautent au cœur : environ 200 000 avortements par an, depuis 40 ans… Deux fois plus qu’en Allemagne. Selon l’INED, près de 4 françaises sur 10 font l’expérience de l’IVG au moins une fois dans leur vie féconde. Comment un geste aussi peu anodin, aussi dramatique – par ses conséquences sur le destin de plusieurs vies humaines – a-t-il pu devenir à ce point banal ? En réalité, cette banalisation est aussi impossible pour les femmes que le maintien durable d’un étouffoir sur un secret de famille. Le gouvernement y travaille en vain.
Prétendant à la neutralité, son site officiel proclame le « droit de disposer librement de son corps ». Slogan déjà quinquagénaire qui érige le déni en dogme. Mais la réalité reste enfouie dans les entrailles de chaque femme confrontée à une grossesse inattendue : un autre corps est là. Reconnaissons-le, chacun de nos corps a vécu dans le corps d’une autre. C’est bien un corps humain qui est l’enjeu de la décision. Vie ou mort ? Choix impossible quand on le regarde en face. Cet autre corps est donc la première information dissuasive frappée d’interdit.
Le médecin « expert » du site gouvernemental assène qu’ « il n’y a pas de séquelles psychologiques à long terme de l’avortement »
Croit-on pouvoir nier le réel pour ne pas trop en souffrir ? Simone de Beauvoir comparait carrément l’avortement à l’extraction d’une dent. Mais 90% des Françaises estiment aujourd’hui que « l’IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes » (sondage IFOP 2016 pour Alliance VITA).
Prétendant contrer une désinformation, le médecin « expert » du site gouvernemental assène qu’ « il n’y a pas de séquelles psychologiques à long terme de l’avortement ». Second flagrant déni. Tromperie pour les femmes qui hésitent et auraient besoin de soutien pour éviter l’IVG. Violence psychique inhumaine pour celles qui souffrent d’un avortement. On les enferme dans la culpabilité, l’impuissance et la fatalité. On leur fait croire qu’elles ne sont pas normales, qu’elles ne pourront être consolées.
La science n’en finit pas de confirmer l’évidence : l’éclatante humanité de l’embryon puis du fœtus
Étouffer la voix de la conscience reste impossible. Surtout quand la science n’en finit pas de confirmer l’évidence : l’éclatante humanité de l’embryon puis du fœtus. Le double déni qui s’affiche en mode désinformation sur le site gouvernemental a donc valeur d’aveu. Ce « Mon corps m’appartient » tatoué sur la peau des people rameutés par les maîtres de la pensée unique exhorte les femmes à ne surtout pas se penser maternelles. A ne pas penser. En vain.