Il faut sauver Suzanne !
Connaissez-vous l’histoire biblique de Suzanne et des vieillards ? Je la trouve très actuelle. C’est une affaire de harcèlement. Voilà deux honorables notables, magistrats bien en place. Ils tendent un piège à une jolie femme qu’ils convoitent ensemble. Les complices surprennent Suzanne dans son bain. Pour exercer sur elle leur chantage, ils menacent de la dénoncer pour adultère – à l’époque puni de mort – si elle ne se laisse pas abuser. Suzanne se refusant, les vieux libidineux ameutent la foule. Deux experts reconnus, deux sages, vont la faire exécuter grâce à leurs témoignages concordants.
Et que se passe-t-il ? Que se passe-t-il aujourd’hui quand, au sein d’une institution, d’un groupe, d’une communauté se noue une grave injustice, du fait des quelques puissants ?
Un grand nombre soutiennent les accusateurs, par excès de confiance et de solidarité fraternelle, par soumission à la pensée unique.
Saisis de doute et de malaise, quelques-uns se taisent, apeurés. Ils ne sont pas d’accord, mais il faut éviter le scandale à tout prix. Pensent-ils que la condamnation d’un seul est préférable à l’opprobre général jeté sur leur caste ? C’est surtout qu’ils risquent gros à parler. La caste interdit la voix dissonante. Le premier qui dit la vérité doit être exécuté. Ou plutôt exclu.
Combien d’injustices passe-t-on sous silence par peur et lâcheté, au nom de l’unité ? L’esprit de famille, d’entreprise, la raison d’État croient pouvoir enterrer un crime. Comme si l’unité était préférable à la vérité. Mais l’unité forcée relève de l’emprise. Elle piétine la liberté de conscience et d’expression.
L’innocente Suzanne est condamnée. Or voilà qu’un cœur droit se lève devant tous. Certains le diront naïf ou déloyal. Il est jeune, inexpérimenté, courageux. Il prend le risque fou de s’opposer à sa caste. C’est Daniel. Il joue gros. Il se met en danger. Sa parole fait violence. Daniel crie : « Je suis innocent du sang de cette femme ! » Dieu aidant, il fait éclater la vérité. Les vieillards qu’on croyait invulnérables perdent la face. Ils seront condamnés.
Alors, en famille, en entreprise, en politique, à l’hôpital, dans une école, n’ayons pas peur de dire la vérité. N’ayons plus peur de l’ouvrir quand tous la ferment. Peu importe que nous risquions d’y perdre. Récusant Nietzsche, Emmanuel Mounier affirmait : « Le désordre nous choque moins que l’injustice ». L’Histoire avance par ceux qui se rebellent contre le mensonge. Et tant pis si le feu de la Vérité provoque désordre et division, si c’est pour honorer la justice !