Tugdual Derville était sur Sud Radio le 21 mai 2019 pour débattre de la situation de Vincent Lambert, dans l’émission Le Grand Matin, présentée par Patrick Roger et Cécile de Ménibus.
» Il faut reconnaître que remplir ses directives anticipées est très difficile : nous avons fait un travail avec Alliance VITA, un fascicule qui est très pédagogique. Il y a des principes généraux : ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie ; pour qu’on prenne soin de nous dans le respect de ce que nous sommes. Et puis [il y a les directives spécifiques], quand on déclenche une maladie évolutive, dont on sait qu’elle va aboutir peut-être à un étouffement, par exemple avec la maladie de Charcot, on peut refuser une trachéotomie ; si on sait qu’il va y avoir besoin d’une pose de gastrostomie, on peut la refuser ou l’accepter… Cela dépende beaucoup [des situations], nous insistons pour que ce soit toujours révisable, en lien avec le médecin, sans rompre la confiance soignants-soignés. »
« C’est un peu facile -et impossible- d’imaginer que simplement, en protocolisant par avance un état qu’on ne connaît pas, [on va pouvoir tout résoudre]. On ne sait pas dans quel état mental ou moral on va se retrouver si on est gravement malade, parce qu’on peut changer d’avis. J’ai per exemple accompagné des personnes qui voulaient mourir à domicile, et qui à un moment donné ont demandé à être hospitalisées pour être sécurisées. Donc il faut que ça soit toujours réversible et que le médecin, et la personne de confiance qu’il faut aussi pouvoir désigner, puisse à chaque fois réévaluer. On ne peut pas définir par avance tous les cas de figure qui pourraient nous arriver. »
« Toute cette affaire, y compris la division triste de cette famille, est née quand un jour les parents ont découvert en 2013, alertés par un de leurs enfants, que depuis [16] jours on n’alimentait plus leur fils, qu’on ne l’hydratait que très partiellement. Ils ont obtenu auprès de la justice qu’on renouvelle cette alimentation, après 31 jours, afin qu’il ne meure pas. Ils ont été mis devant le fait accompli d’une décision médicale qu’on ne leur a pas dite. Il faut comprendre leur colère, il faut comprendre qu’ils aient perdu leur confiance dans une partie de l’équipe soignante. Quand ils ont fait appel aux Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH), c’est parce qu’ils estiment que leur fils est gravement handicapé, comme quelques 1600 autres.
« Il y a des controverses à ce propos entre des médecins neurologues. Je pense au Professeur Xavier Ducrocq, qui a témoigné de l’état assez incernable, assez mystérieux de Vincent Lambert. On balance entre des états neuro-végétatifs où la personne ne peut pas s’exprimer du tout, et des états pauci-relationnels, où il y a des modes d’expression difficilement interprétables. Le grand scandale est qu’il soit maintenu depuis 5 ans dans un établissement où il n’a plus les soins dus à ce type de patients. Il n’a plus de kiné, plus de sortie à l’extérieur, plus de mise au fauteuil… Plusieurs médecins spécialisés EVC-EPR demandent qu’il soit transféré dans un établissement approprié à ces états (de nombreux en France sont prêts à l’accueillir, ils l’ont dit), ce pourrait être la sortie vers le haut [de cette situation]. »
« Il y a une grande ambiguïté : est-il maintenu artificiellement ? est-ce qu’o lui donne les soins dus à son état ? Où se situe la disproportion ? On a une personne qui respire spontanément, dont le corps n’est pas malade hormis cette très grave dépendance, dont le mode d’expression est incernable, mais avec des débats médicaux assez forts là-dessus (le spécialiste belge de ces états dit qu’on se trompe assez fréquemment) … Aucun d’entre nous n’a envie d’être dans sa situation, mais le risque c’est de se projeter, alors que l’enjeu, pour moi, c’est de protéger. Si on se projette dans une situation qu’on ne connait pas, évidemment elle nous paraît totalement inhumaine ; mais si on privilégie la personne qui veut protéger la vie de celui qui est très dépendant, on s’en sort par le haut. Mais je conçois que ce soit très difficile à vivre des deux côtés. »
« L’interdit de passer à l’acte, n’est pas ce qui nous permet, ainsi qu’aux plus fragiles de notre société, de vivre ensemble ? J’étais hier avec un homme en fauteuil roulant, qui témoignait en disant : « Quel regard pose-t-on sur moi, si on pose sur Vincent Lambert un regard qui le voit comme un mort-vivant ? » C’est le grand risque. »
« Je suis d’accord avec l’importance de parler de ces sujets [de fin de vie], de parler de la mort. Nous avons fait une grande enquête auprès des Français, en leur demandant ce que la mort d’un proche leur avait appris sur la vie. On a eu des conversations absolument magnifiques. »
« Il faut bien noter que les personnes qui revendiquent l’euthanasie, ce qui n’est pas mon cas, le font en général pour des personnes gravement malades, en fin de vie, qui le demandent. Ce n’est pas le cas de Vincent Lambert, qui n’est pas gravement malade, mais gravement dépendant, qui n’est pas en fin de vie, sauf si on l’y met, et qui n’a pas demandé qu’on arrête son alimentation. Par conséquent une brèche risque de s’ouvrir, d’où les cris d’inquiétude des personnes gravement handicapées ou de leurs proches. »
« On s’aperçoit que le médecin peut éclairer les proches, il faut maintenir cette confiance et cette parole, pour ne pas considérer que des personnes, en raison de leur âge, ou de leur handicap, ne sont plus dignes d’être soignées. Le problème est que Vincent Lambert manque de soins, de soins appropriés à son état, et ça c’est inquiétant. Ce qui va être discuté dans les jours à venir avec la CIDPH, c’est de savoir si on va assurer et garantir à Vincent Lambert les soins liés à son état de grand handicap. »