La France, pays des fromages, des vins… et des ronds-points. 50.000, paraît-il. Record du monde. 6 fois plus qu’en Allemagne. J’ai du mal à l’admettre : les giratoires rognent sur la nature et enlaidissent le pays ; c’est un gouffre financier. Mais l’argument de la sécurité routière est imparable : des vies sont préservées.
Or, voilà qu’avec les Gilets Jaunes, ces ronds-points ont retrouvé une autre fonction autrefois dévolue à la place du village ou au café du commerce. On se rencontre. On débat. On fraternise. Il s’en passe des choses sur ces nouvelles agoras ! « Tiens, c’est donc vous qui habitez la ferme là-bas ! » « Et vous faites quoi dans la vie ? » « Ah, tu es retraité ! » « Qui veut du café ? » « Mon fils s’est endetté. » « Restons ensemble ! » « René viendra nous relayer pour la nuit. »
Dans une société hyper-individualiste où l’on s’enferme dans son écran perso, des voisins se découvrent. Sur les ronds-points, on se relie. Chacun prend sa place : personnes isolées, retraitées, et – fait marquant – de nombreuses femmes.
Toute personne ayant participé à un vrai mouvement social – répondant aux trois critères : spontané, anarchique et foisonnant – sait qu’on n’en sort jamais comme on y est entré. Agir ensemble – même dans le désordre, les revendications contradictoires voire l’échec – cela crée du COMMUN. Dans le froid et la nuit, avec le sentiment d’être méprisés puis redoutés, se cristallise la quête du BIEN commun : celui de chacun et de tous, de sa famille, de ses enfants et petits-enfants. Ceux qui subissaient passivement redressent la tête. Ceux qui se sentaient ignorés partagent leurs souffrances et leurs valeurs : bon sens, solidarité, courage, ténacité. Sur les ronds-points s’envisage la société. On la rêve plus humaine. On veut reprendre en main son destin et ne plus le laisser aux politiques, déconsidérés par l’arrivisme et les mensonges. On en parle avec ceux que l’on filtre… On vit.
Hélas, tout peut déraper. Tout a déjà dérapé. La rage et l’injustifiable violence ont fait craquer le pouvoir. Faudrait-il casser pour être entendu ? Terrifiant constat ! Et je redis que le chaos menace, mortel.
Entre la vie et la mort, l’attention se tourne vers un rond-point historique. Car l’inventeur du « carrefour à giration », un certain Eugène Hénard, a aménagé le premier – c’était en 1906 – aux pieds de l’Arc de Triomphe : la place de l’Étoile, giratoire capital où se joue peut-être l’avenir de nos institutions. Qui aura la priorité ? La justice ou la haine ? Pour le président, l’issue est plus qu’incertaine.
Une réflexion au sujet de « Le rond-point, entre la vie et la mort (07 décembre 2018) »