Où sont donc nos chères photographies ? Non plus soigneusement rangées à la maison, comme du temps où l’on les prenait une par une, à l’économie. Elles s’accumulent dans de fragiles disques durs ou quelque part ailleurs, dans de supers ordinateurs sécurisés qui surconsomment l’énergie. Et quand on est dépassé par la technique ou qu’un impossible accident survient – car tous les accidents « impossibles » arrivent un jour – nos souvenirs partent en fumée. Je l’ai déjà vécu. Tant pis pour moi !
Où sont nos chers amis ? Non plus à portée de cœur, de visite, ou de lettre manuscrite, comme au temps où l’amitié était rare, lentement conquise, fidèlement entretenue. Ils s’accumulent sur Facebook. On les collectionne grâce aux réseaux sociaux. On ne sait plus trop qui en est ; ni nos contacts, ni nos données ne sont sécurisés. Rassurons-nous, nos vrais amis se compteront sur le doigt de la main quand il s’agira de nous rendre visite, à l’approche de notre mort.
Mais où donc vont se loger à leur tour nos chers gamètes ? Vous savez, les plus stupéfiantes cellules de nos corps, celles qui donnent la vie… Non plus là où elles mûrissent, à leur rythme, à la place prévue dans nos corps par notre écologie – la nature est bien faite ! – mais quelque part, dans des labos de procréation artificielle. Minutieusement étiquetés et congelés, en attendant une hypothétique fécondation.
La procréation serait-elle devenue chose trop sérieuse pour être soumise aux aléas de l’amour sous la couette ? Passons à l’éprouvette ! L’accident viendra, lui aussi, de temps en temps : inversion d’étiquette, décongélation involontaire. C’est déjà arrivé. Plus sûrement, il restera la perspective de l’échec des tentatives de procréation : 75% des femmes qui ont cru devoir confier leurs ovocytes à des labos se retrouvent sans enfant lorsqu’on tente de passer par la fécondation in vitro. Mais chut !
« On n’arrête pas le progrès », nous dit-on, comme si l’externalisation de la procréation était notre avenir, comme si les jeunes femmes sans problème d’infertilité devaient vite se faire prélever leurs ovocytes pour s’enlever le souci de la maternité le temps de faire carrière. Le gouvernement a osé ouvrir cette boîte de Pandore. Il prétendait contenir la demande d’autoconservation des gamètes, en réservant ce procédé aux centres à but non lucratif. Les députés de sa propre majorité viennent de voter l’amendement réclamé par le lobby de la procréation : les centres à but lucratif auront leur part du juteux marché.
Moi, je préfère l’amour écolo, bio… et gratuit !