Deux fois décalée, la présentation au conseil des ministres du texte instaurant le « mariage pour tous » devrait n’intervenir que le 7 novembre, tandis que le débat parlementaire devra attendre mi-janvier. Comment interpréter ces reports ?
Jean-Jacques Urvoas (PS), président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale avait prévenu : « Il est hors de question de consacrer quinze jours à un texte que le gouvernement a mis cinq mois à faire. » Même si les glissements de calendrier sont courants, les commentaires vont bon train. Est-ce une façon de reculer pour mieux sauter ?
Du côté des députés de gauche, on dit se réjouir de pouvoir auditionner largement, pour faire un grand et beau débat. Moyen de déjouer la posture de tous les opposants au texte gouvernemental qui dénonçaient l’absence de concertation. Alors que la loi impose désormais le processus participatif des états généraux pour les questions de bioéthique, comment assumer la précipitation à faire voter cette loi ? Ne reconnaît-on pas unanimement qu’elle induit une mutation majeure de la société ?
Le rapporteur du projet, le député PS Erwan Binet, invoque un Conseil d’État « embouteillé ». Confirmation à l’AFP du porte-parole du ministère de la Justice, Pierre Rancé, qui synthétise la version officielle : « Le Parlement ayant décalé l’examen du texte à la mi-janvier pour avoir un délai supplémentaire de travail, le gouvernement a décidé de se donner huit jours de plus pour l’inscrire tranquillement au Conseil des ministres. » Quelle que soit la fermeté affichée par l’exécutif qui entend faire de ce projet « sociétal » le pendant de l’abolition de la peine de mort, réforme emblématique du début de l’ère Mitterrand, le passage de l’intention à la réalisation pourrait s’avérer compliqué. Tout se passe en effet comme si l’on n’avait écouté que la revendication du lobby « LGBT » (pour lesbien, gay, bisexuel et transsexuel) dont le porte-parole s’était permis d’annoncer lui-même la première date de présentation du texte… Le gouvernement aurait-il attendu d’être aux affaires pour découvrir les multiples implications de la promesse — juridiques, sociales… et politiques — et le nombre des personnes concernées ?
Christiane Taubira propose une réforme « limitée » à l’adoption, mais nombre de socialistes, y compris au gouvernement, refusent de remettre à plus tard l’accès à la procréation artificielle, au moins pour les femmes. Gare au choix truqué alertent les opposants : peut-on logiquement s’arrêter au droit d’adopter des enfants ? Les premières demandes d’adoption seront effectuées par les compagnes de femmes ayant conçu des enfants par insémination artificielle, soit à l’étranger, soit « bricolées » en France. Puis des hommes dont le compagnon sera revenu de l’étranger avec un bébé obtenu d’une mère porteuse crieront à la discrimination…
C’est sans-doute la fronde des maires de France qui est observée avec le plus d’attention au sommet de l’État. Pour leur président, Jacques Pélissard, « il y a une position unanime de l’association pour dire : on veut être entendus, on veut une concertation ». Dans le même temps, les signatures affluent par milliers au mouvement des « Maires pour l’enfance ». Hostiles au projet, ils réclament par ailleurs cette clause de conscience (ou « droit de retrait ») que le gouvernement leur a par avance refusée.
Le « sujet devient explosif » constate François Bayrou. Rallié à François Hollande entre les deux tours de la présidentielle, il estime qu’ « il n’est pas bon, dans la période où nous sommes, qu’il y ait de tels déchaînements dans la société française » et propose l’abandon du mot « mariage ». Les promoteurs du « mariage gay » auraient-ils autant négligé la complexité de leur projet que l’intensité de la résistance qu’il suscite ?
La Caisse nationale des allocations familiales a voté contre le projet… Les évêques catholiques, les représentants du protestantisme, et désormais le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, auteur d’un essai solidement argumenté et largement diffusé par Internet, ou encore le président du Conseil français du Culte musulman, Mohamed Moussaoui, pourraient libérer la parole au-delà des fidèles de leurs religions.
Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Intérieur a joué l’apaisement au cours d’une visite à Rome chez Mgr Dominique Mamberti, responsable de la diplomatie vaticane. Pour Manuel Valls, François Hollande estime « logique et légitime que l’Église expose pleinement son point de vue ». Le ton aurait-il changé, alors que les manifestations de rue ne commencent qu’à peine ?