Au moment du vote « définitif », par l’Assemblée nationale, du projet de loi Taubira, se pose la question de l’avenir du grand mouvement social qu’il a suscité.
Quelle fut la différence entre la dernière manifestation du dimanche 21 avril et les autres ?
Ce fut une manifestation régionale, décidée à la hâte, à cause de l’accélération paniquée de l’exécutif. Elle a tenu ses promesses : d’abord, elle a été, de l’avis même de la police, nettement plus nombreuse que celle, comparable car régionale aussi, du 17 novembre 2012, et aussi plus variée dans ses participants. Ensuite, alors que le ministre de l’Intérieur avait pris le risque de prédire la haine, l’homophobie et la violence, allant jusqu’à évoquer le régime de Vichy pour nous décrire comme des « factieux », elle a été particulièrement paisible. Et c’est même l’entrée dans le grand silence de la non-violence intérieure qui a marqué ces derniers jours, avec l’émergence du mouvement des Veilleurs, dans toute la France. Tout cela atteste la pérennité de notre mouvement, mais aussi son approfondissement. Le temps n’est plus seulement à la protestation agitée dans la rue, même si le 26 mai, jour de la fête des mères devra être une magnifique manifestation ; il est aussi à la contre-proposition intellectuelle et politique. Un mouvement nouveau, que d’aucun voudraient vite enterrer, est en train de naître…
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de « libérer l’homophobie ordinaire » ?
Ils jettent de l’huile sur le feu. SOS homophobie m’a clairement dit, sur France Culture, que s’opposer à ce projet de loi était intrinsèquement homophobe, et que même nos amis homosexuels, porte-parole de la Manif pour tous, dont ils partagent avec nous les banderoles de tête, sont homophobes ! Alors, évidemment, il y a de quoi prendre peur, quand on prétend que des millions de personnes sont prêtes à s’en prendre aux personnes homosexuelles ! Fort heureusement, il n’en est rien en réalité. Et les faits divers qui sont mis en exergue n’ont rien à voir avec notre mouvement. Une attaque de skinhead avait déjà été perpétrée, l’an dernier, contre l’établissement homosexuel de Lille qui en a été à nouveau victime… Cela avait fait moins de bruit… Pourquoi ?
Il y a tout de même des accusations et des menaces contre des élus qui soutiennent ce projet…
Oui, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, en a été victime le 22 avril, comme l’ont été également des opposants au projet de loi. Nous devons tous condamner toute forme d’exaction et d’intimidations. Je condamne fermement toute menace contre quiconque, et je suis stupéfait de la façon dont elles sont relayées à sens unique. Sur les conseils de mon avocat, j’ai été obligé de me rendre à la gendarmerie samedi soir pour signaler les menaces de mort, signées, datées, publiques et réitérées que je venais de recevoir via Twitter. Un jeune homme à visage découvert y affirme d’abord : « On l’aura votre peau, vous brulerez sur le bûcher de la haine ». Alors que je l’appelle au calme, il réitère, toujours en s’adressant à moi : « Puisque personne ne s’oppose à vous, je vais le faire demain et en force !!! Le sang coulera ! » Un ministre de l’Intérieur qui aspire à devenir homme d’Etat s’honorerait à dénoncer toutes les violences et toutes les menaces mais aussi à exprimer des signes de respect pour l’exemplarité non-violente de notre mouvement. Quel est le bilan, en termes de voitures brûlées, de vitrines cassées et d’agents de la force publique blessés ? Nul. Quel contraste avec les mouvements quasi-insurrectionnels que les gouvernements successifs doivent affronter ici ou là, lors de mouvements protestataires mais beaucoup plus dangereux pour l’ordre public, alors qu’ils sont bien moins nombreux ! Notre puissance est celle de la paix intérieure.
Comment comptez-vous transformer cette puissance, malgré la défaite ?
Je vois plutôt dans notre mouvement la promesse d’une victoire. Celle d’un projet de société plaçant l’être humain le plus vulnérable comme priorité dans tous les domaines : la politique, l’économie, l’éducation, la bioéthique, l’environnement, le dialogue Nord-Sud etc. Je pense que l’idéologie du genre ne serait pas entrée si facilement à l’école (c’était sous le précédent gouvernement) dans le contexte actuel décomplexé. Derrière les banderoles de la Manif pour tous, comme derrière les barricades de mai 68, s’opèrent des rencontres improbables et prometteuses, se noue une « conscientisation » des plus jeunes aux défis de notre temps, naissent des vocations associatives et politiques… Notre mouvement social a généré sa propre force. Et c’est magnifique de voir que les manifestants ne se contentent pas de « commenter » ce qui se passe dans la société, ils sont prêts à s’impliquer, à changer leur propre mode de vie… Avec Pierre-Yves Gomez et Gilles Hériard Dubreuil, nous voyons l’écologie humaine, qu’on peut aussi nommer l’écologie de l’homme, comme un projet généreux, capable de répondre à la défaite des postures libérales-libertaires individualistes. Ce forum interdisciplinaire contribuera à prolonger le magnifique mouvement social qui continue de naître, en répondant aux défis technologiques qui menacent l’essence de l’homme. Peu importe que la plupart des politiques, focalisés sur les rapports d’intérêt, n’aient aucune compréhension de ce qui se passe, pour le moment. Et spécialement le gouvernement actuel qui a visiblement beaucoup de mal avec la vérité et avec l’amour. Un seul exemple : quand madame Bertinotti nous assène que” l’accouchement ne fait pas la mère”. Que tous les idéologues reviennent plutôt au réel, en s’émerveillant que l’altérité sexuelle soit à la source de chaque vie.
Propos recueillis par Frédéric Aimard