Vive le roi ! Je veux dire : Vive le président de la République !... ce qui revient au même. Dix jours après la visite du couple suprême au Taj Mahal, l’allocution inédite du chef de l’Etat aux Académiciens l’a encore confirmé : nous vivons en monarchie républicaine… J’ai envie de dire : en monarchie absolue. Car, par comparaison avec notre chef de l’État, les monarques héréditaires des pays voisins font figure de roitelets tout nus, sans pouvoir.
Notre puissant roi, à l’image des grenouilles de la Fontaine, nous le réclamons à cor et à cri, nous cherchons en lui le sauveur, nous le sacrons par les urnes, puis nous l’installons comme un souverain, en grande musique. Nous nous entichons de lui d’abord, pour mieux nous donner le droit de le détester ensuite. Un ami canadien en visite à Versailles, peu au fait de l’histoire de l’Europe, demandait benoîtement à l’un de mes fils, à la vue du beau château : « Où loge votre roi ? » « Nous n’en avons plus… » « Qu’en avez-vous fait ? « Nous lui avons coupé la tête ! » Stupéfaction du visiteur, sur le mode : « Vous êtes fous les Français ! »
Oui, que nos présidents soient fainéants ou hyperactifs, nous adorons les exécuter. Pendant que l’un trône, des magistrats règlent leurs comptes aux précédents, qu’ils rêvent d’embastiller. Ça aussi, nous l’avons vu cette semaine.
Jamais de mon vivant la monarchie républicaine n’aura semblé à la fois si établie et si aléatoire. Tenez, sur les sujets bioéthiques, c’est au Dieu du moment seul qu’il sied de s’adresser, car ses saints, ses ministres, font pâle figure.
Après le divin Mitterrand, nous jouissons d’un président Soleil, déclarant à ses armées « Je suis votre chef ! » sur le ton d’un Louis XIV affirmant « L’Etat, c’est moi ». Notre système présidentiel favorise le fait du prince, les jeux de cour et de favoris, de grâces et de disgrâces. L’effondrement récent des vieux partis a presque fait de l’Assemblée nationale une chambre d’enregistrement moins frondeuse que les Parlements d’ancien Régime. Du coup, le moral des députés est au plus bas, même ceux de l’immense parti indéfini dévoué au président. La vie politique s’est réduite à un pseudo-débat plus ou moins citoyen. À la fin, c’est toujours le président qui tranche. Seul.
Mieux vaut être invité à souper en son palais si l’on veut être pris en compte. À moins d’avoir la chance de le croiser quand il en sort… En bon monarque absolu, le président est capable de se faire adresser personnellement vos dossiers administratifs en souffrance. Bref, il guérit toujours les écrouelles.