Colauréat du prix Nobel de médecine 2012 avec le britannique John Gurdon, Shinya Yamanaka a réussi à «reprogrammer » des cellules, une découverte majeure qui réconcilie science et conscience.
Juin 2007. La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans le monde scientifique : le professeur Ian Wilmut, d’Edimbourg, père du premier mammifère cloné, annonce qu’il jette l’éponge, et renonce à ses recherches sur le clonage. Sa célèbre brebis Dolly avait alimenté tant de fantasmes… et de peurs ! Avec en perspective une « reproduction » humaine au sens strict. Mais voilà qu’un chercheur japonais a fait changer l’écossais d’avis. Entre 2004 et 2005, le professeur Shinya Yamanaka de l’université de Tokyo a en effet réussi l’impensable : obtenir des cellules souches adultes pluripotentes à partir de cellules déjà différenciées. Cette découverte est publiée en 2006. On croit jusqu’ici ces cellules irrémédiablement spécialisées, ce qui explique la fascination de certains chercheurs pour les cellules souches d’origine embryonnaire, totipotentes, c’est-à-dire capable de se donner toutes sortes d’organes… Mais voilà donc que, grâce à l’adjonction de quatre gènes à des cellules de peau de souris, Yamanaka a réussi en quelque sorte à leur faire remonter le temps. Une cure de jouvence qui bouleverse radicalement la perspective des thérapies cellulaires. Sont soudain ringardisés, non seulement le clonage, mais également l’obsession de la recherche sur l’embryon. A quoi bon se heurter aux contraintes de compatibilité entre donneur et receveur si ce dernier dispose de cellules reprogrammables ? Même si les perspectives thérapeutiques restent lointaines, c’est une bonne nouvelle pour les scientifiques attachées au respect de l’intégrité de l’être humain. Les cellules reprogrammées, dîtes « IPS », ne nécessitent en effet ni recours aux ovules, ni destruction d’embryons. Ian Wilmut renonce donc à exploiter la licence obtenue pour cloner des embryons humains. « Avec cette technique, on ne peut plus dire : “il n’y a pas moyen de faire autrement” » résume à l’époque Jean-Claude Ameisen, président du comité éthique de l’Inserm, aujourd’hui pressenti pour présider le Comité consultatif national d’éthique.
Les années ont passé. Les travaux de Yamanaka ont été confirmés par plusieurs équipes internationales. Dolly a vieilli prématurément. Le savant sud-coréen Hwang Woo-suk qui avait annoncé le premier clonage humain en 2004 est définitivement tombé pour falsification et entorse à l’éthique scientifique. Il n’avait cloné qu’un chien et fait pression sur ses collaboratrices pour qu’elles lui fournissent leurs ovocytes. Le clonage est donc largement décrédibilisé. Mais qu’en est-il de la manipulation de l’embryon ? Au 20 heures de TF1, le 8 octobre 2012, c’est paradoxalement le professeur Marc Peschanski qui est appelé à commenter le prix nouveau prix Nobel. Ardent promoteur de la recherche sur l’embryon et du clonage prétendument « thérapeutique » Peschanski n’a-t-il pas failli décerner le prix de « l’homme de l’année 2005 » à son ami Hwang, avant que le scandale ne conduise à annuler la cérémonie ?
Six ans après la découverte majeure de Yamanaka, l’attribution du prix Nobel de médecine 2012 provoque des réactions qui confirment le malaise qui entoure la recherche sur l’embryon. Le japonais « a réussi le tour de force de faire avancer prodigieusement la science tout en contournant l’obstacle éthique et religieux que constituent les cellules souches embryonnaires » affirme Le Point sous le titre « Le Nobel Yamanaka a fait avancer la science sans heurter les consciences ». Alors que la Fondation Jérôme Lejeune et Alliance VITA se réjouissent de la distinction internationale qui honore le découvreur des cellules IPS, les deux associations mettent en garde contre la proposition de loi « régressive » du sénateur (PS) Mézard dont la discussion est annoncée ce lundi 15 octobre 2012, au cours d’une « niche » réservée aux initiatives parlementaires.
En autorisant explicitement la recherche sur l’embryon conduisant à sa destruction, la proposition Mézard prévoit de rompre avec un principe bioéthique essentiel. Ce type de recherche n’est admis actuellement que par dérogation alors que les recherches alternatives conformes à l’éthique doivent être favorisées. La loi bioéthique exige cependant une concertation bien plus vaste qu’un débat en catimini au Parlement : « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux ». Même si le texte de M. Mézard est conforme à une promesse du candidat Hollande, la majorité présidentielle peut-elle éviter un tel débat ?