Est-ce l’atterrissage sur mon bureau d’une jolie coccinelle asiatique [Harmonia axyridis] dont l’espèce pullule dangereusement après avoir été imprudemment importée par l’INRA en 1982 ?
Est-ce l’énorme et magnifique nid de frelons (autochtones) que j’ai dû déloger ces deux dernières nuits du pied d’un frêne creux, parce que ses hôtes nous menaçaient ?
Ou bien est-ce la désolante affaire Leonarda, où il est aussi question d’occupants indésirables, mais à propos, cette fois, d’une famille venue d’ailleurs, de membres de notre propre espèce ?
J’exhume un petit texte de novembre 2011 dont ces divers faits confirment l’actualité. Juste histoire d’en remettre une couche sur un axiome plus précieux qu’il n’y parait : l’Homo sapiens n’est décidément pas une bête.
La mondialisation fait aussi voyager les animaux et le réchauffement favorise leur acclimatation dans nos contrées. La France traite durement ces indésirables.
Passant la frontière italienne dans les années 70, la tourterelle turque, de son nom latin Streptopelia decaocto, a migré vers l’ouest. Occupant désormais toute la France, elle est moins discrète que l’autochtone, la jolie tourterelle des bois. Quand elle se sent menacée, la Turque au collier noir lance un vilain cri rauque. Mais son acclimatation dans l’Hexagone n’a pas déchaîné les passions, à l’inverse de l’invasion actuelle de Vespa velutina, le frelon tout droit venu de Chine. Ce péril jaune-orangé se propage en France à partir de la côte Atlantique. L’insecte diffère du bon vieux gros frelon autochtone par son agressivité. Omnivore, le Chinois raffole des abeilles, bêtes à miel déjà menacées par la pollution. La détestation pour l’intrus vient surtout de là. Le frelon asiatique a donc rejoint la cohorte des bêtes immigrées honnies.
Chez les mammifères, les clandestins qu’on chasse le plus sont les ragondins et les rats musqués. Les rats tout court étaient venus d’Orient au Moyen Âge, avec la peste. Nos deux rongeurs à fourrure – également vecteurs de maladies, comme la leptospirose – ont débarqué d’Amérique avec leurs éleveurs, comme le doryphore qui suivait sa pomme de terre. Ragondins et rats musqués sont classés nuisibles. Les piégeurs leur font la guerre car ils dévastent les berges, ruinant les étangs et canaux creusés par l’homme au fil des siècles. Sous nos eaux grouillent une multitude de bestioles exotiques : robuste poisson-chat, écrevisse de Louisiane (on la pêche même à Versailles en la pièce d’eau des Suisses), tortue de Floride (la nageuse carnivore est relâchée adulte et puante par ceux qui l’avaient adoptée ravissante au stade juvénile) et jusqu’au gigantesque silure qui ne diffère du poisson-chat que par sa taille : parfois plus de deux mètres ! Aubaine pour les pêcheurs sportifs de nos fleuves.
Ces plus ou moins jolies bêtes, en s’imposant dans la chaîne alimentaire, détruisent l’équilibre écologique, au détriment des espèces endémiques. Le vison d’Europe, qu’on protège, est menacé par le vison d’Amérique, classé nuisible. L’écrevisse locale, sensible à la pollution, s’efface progressivement devant sa cousine américaine, qui prolifère dans l’eau fangeuse. L’énorme grenouille-taureau, elle aussi sans papiers, grignote l’espace vital, et au besoin la chair, de notre frêle grenouille verte…
Sortons vite la tête de l’eau : un couple de volatiles africains s’est échappé d’un zoo. Grâce au réchauffement climatique, l’Ibis sacré a pris souche dans le marais Poitevin, sous l’œil ravi des promeneurs… Les paisibles ornithologues de la Ligue de Protection des Oiseaux ont massacré la famille entière, en toute discrétion. C’est que l’oiseau-dieu de l’Égypte antique dévore les œufs d’espèces bien de chez nous…
Mais par quelle injustice l’atterrissage d’une grande Alsacienne n’a pas provoqué la même réaction ? C’est la cigogne blanche, si belle, qu’on a longtemps choisi cette migratrice pour ne PAS expliquer aux enfants comment arrivent les bébés. Désertant l’Alsace, dont elle fut la mascotte, voilà qu’elle préfère les zones humides de l’Ouest, s’y plaisant tant qu’elle y devient sédentaire. Le Vendéen chasse-t-il l’envahisseur féroce, dont les coups de bec raréfient les batraciens ? Nenni ! Il lui érige des plates-formes pour qu’il fasse son nid.
Je vois deux morales à cette fable.
1/ C’est toujours à l’homme qu’il appartient de dominer les animaux.
2/ Mais il ne doit pas agir avec son semblable venu de l’étranger, comme il traite les bêtes invasives.
J’ajoute en 2013 que prétendre séparer un petit de ses parents, alors qu’il n’est pas encore autonome, est… inhumain.